Les jardins statuaires

Par Liliba

Jacques ABEILLE

Livre lu dans le cadre de l'opération rentrée littéraire Libfly / Furet du Nord.

Ce livre sera en librairie à partir du 25 août 2010.

Tout d'abord, le livre est magnifique. La couverture, qui peut s'ouvrir des deux cotés, est illustrée de dessins de François Schuiten qui, lorsqu'il a découvert ce roman, a contacté l'auteur pour lui montrer à quel point leurs imaginaires étaient parallèles et comment les écrits de l'un correspondaient aux dessins de l'autre. On a donc un beau livre en main, qu'on contemple avec plaisir avant que de se plonger dans l'histoire. Car il faut ici effectivement bien plonger, s'engouffrer dans ce récit abracadabrant, fantastique, magique, se laisser porter par les mots de l'auteur et les évènements qui surviennent, se laisser envahir par cette atmosphère toute particulière...

Nous sommes dans un pays indéterminé, à une époque indéterminée. Un voyageur arrive dans une auberge quasi abandonnée, habitée par le seul aubergiste, homme taciturne et parfois presque vraiment mal-aimable. Il est dans une contrée qu'il ne connaît pas et lorsqu'un homme du pays se présente à l'auberge et se propose de lui servir de guide et de lui faire découvrir le domaine voisin, il accepte avec plaisir. Il est loin de se douter de ce que la découverte du domaine aura comme répercussions sur sa vie. Car ici, ce qu'on cultive, ce ne sont pas carottes ou navets comme ailleurs, non, on cultive des statues. Vous avez bien lu, oui, des statues. Et là est tout l'art, le grand art de l'auteur qui arrive à nous emmener sur les pas de ce voyageur dans ce monde étrange et à nous faire découvrir cette société très organisée, hiérarchisée, aux coutumes ancestrales, sans que cela nous paraisse totalement saugrenu ou incroyable.

Les statues sortent de terre comme des champignons, et les jardiniers présents sur les domaines les traitent avec grand soin, taillant, nettoyant, bouturant, élaguant comme s'il s'agissait d'un rosier. Les statues grandissent et arrivées à maturité, sont emportées pour être vendues sur d'autres domaines ou dans d'autres contrées. Certaines parfois meurent ou tombent malades et l'on doit alors en toute hâte suivre les consignes drastiques imposées par les lois de ce pays.

Notre voyageur est tout d'abord totalement ébloui par ces statues, par le travail des jardiniers, par l'ordonnancement de ce monde étrange (mais pas tant par le fait que les statues, la pierre ou le marbre soient des organismes vivants qui sortent de terre...). Il se passionne, questionne, observe, cherche et commence vite à noter ses réflexions pour en faire peut-être un livre. Car les livres, autant que les statues, sont dans ce pays des objets de valeur. On y consigne les vies des hommes, liées à celle des statues. Les coutumes y sont répertoriées, tout est noté et chaque domaine dispose d'une grande bibliothèque, condensé de savoir sur le mode de vie de la région.

Car il y en a, des domaines ! Ils sont les uns à coté des autres (mais sur des terrains si vastes qu'ils sont en fait très éloignés), bâtis tous sur le même modèle, et chacun reproduisant le même mode de vie, les mêmes traditions. Le voyageur avide de découvertes va en visiter plusieurs, accueilli chaque fois très agréablement par le gardien du domaine. Mais au fur et à mesure de ses visites, il va toutefois découvrir l'envers du décor. Les traditions qui l'avaient émerveillé et dont il commence à connaître les rouages suscitent en lui quelques questions. Ainsi la place des femmes, qu'on sait présentes mais que personne ne peut voir nulle part. Le rôle des auberges, véritables maisons closes tenues par des hommes d'affaires et dans lesquels les jardiniers viennent secrètement assouvir leur désir. Le silence qui se fait quand on parle des jeunes en révolte. Et surtout les contrées du Nord, ces contrées où semble-t-il les domaines sont à l'agonie, et les steppes encore au-delà où la légende fait prendre vie à des brigands sanguinaires...

Le voyageur va donc partir à la découverte du pays dans son ensemble. Il est poussé par un besoin de savoir, de connaître et de consigner qui ne lui laisse pas de répit. Il est comme attiré, aimanté par ces mystères, par les subtilités de ce mode de vie que ni lui ni personne n'aurait pu imaginer. Il y rencontrera des hommes et des femmes aux personnalités impressionnantes, il découvrira également l'amour et la mort.

Ce livre est un roman époustouflant ! Tout d'abord, le style de l'auteur, très littéraire, très beau, un peu à l'ancienne, extrêmement poétique mais en même temps très concret quand il nous explique le fonctionnement de ce pays. Parfois un peu dur à lire, il faut gagner son plaisir en se concentrant, ce n'est pas un livre qu'on ouvre juste pour se détendre ou se changer les idées, non, c'est un roman qui se mérite, et qui doit se déguster. Ensuite, l'étude des rouages de cette société des jardiniers est passionnante. Il y a bien sûr les statues, culture pour le moins originale, mais tous les cotés économiques, humains, psychologiques. Le poids du passé qui est ici bien plus lourd encore que chez nous. Le respect des traditions. Mais aussi l'envie de vivre pour soi-même, un ardent besoin d'amour, de paix.

Un livre que je vous conseille grandement !

Mon seul bémol : la police de caractère, microscopique ! Bien trop petite en tout cas pour mes yeux de post-quarantenaire fatigués par des lectures nocturnes bien trop tardives...

Un grand merci à Libfly et au Furet du Nord pour l'envoi de ce livre !