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Anne-Marie Garat, Entretien exclusif

Par Lethee

Entretien avec Anne-Marie Garat à l’occasion de la sortie du dernier volet de son tryptique

Hongrie, chez Actes Sud, 2009

Comment vous est venue l’idée de faire un tryptique ? Etait-ce l’idée de départ ?

Dès le départ, j’envisageais d’autres textes, variations sur ce thème de l’image, sans en avoir arrêté le nombre. Le triptyque est une forme que j’aime bien : impair, il laisse un déséquilibre. Dans son miroitement triangulaire, il ouvre davantage de perspectives que le diptyque.

Ce qui domine, c’est la facture semblable du texte : un dialogue chaque fois, entre un narrateur et un interlocuteur, assez intimes pour partager le même territoire imaginaire ; et chaque fois cela se situe entre la veille et le sommeil, moment propice de seuil, de séparation, où les repères de la réalité sont flottants, invasion de la conscience par le rêve et réciproquement, sans que décide l’un ou l’autre. Je postule que cet interlocuteur est moi-même et mon autre : le lecteur. Mon semblable, mon frère…

L’amour de loin est une image. La rotonde un panorama. Hongrie un blason. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Je propose des variations sur des modalités de l’image, dans L’Amour de loin, projection aléatoire de lumière sur un mur ; dans La Rotonde, figure utopique de l’image totalisatrice, macro et microscopique, comme en contiennent les boules de verre ; dans Hongrie, référence au genre, à la fois littéraire et héraldique, de motifs symboliques sélectifs…

Au fil de ces trois œuvres, on a la sensation d’un travail qui s’opère, d’une recherche littéraire très pointilleuse, d’une exigence rare. C’était un besoin ?

Ces trois textes courts sont en quelque sorte le contrepoint poétique de mon travail d’écrivain, ils réunissent les motifs de l’écriture (au sens de figure et de motivation), ils font le point, comme on le dit en photographie, sur des thèmes qui motivent mes romans, une sorte de laboratoire de l’imaginaire.

Il semble que vous ayez voulu peindre l’image, l’action et l’idée avec des mots. En somme, des notions de plus en plus larges.

C’est le paradoxe que le langage des mots est entier image,qu’il suggère des représentations mentales et sensibles dont la réalisation n’opère que dans l’acte de lecture, dans l’esprit du lecteur qui y apporte ses propres références, et lui donne une présence fantomatique, imaginaire, constitue lieu de convergence de tous nos affects et pensées ; c’est l’immense propriété de la littérature que de convoquer les virtualités du monde, son invisible.

Entre le peintre et l’écrivain, où vous situez vous ?

Je ne me situe pas, je circule dans les œuvres d’art qui donnent sens à mon existence, cinéma, peinture, photographie, dont le langage est différent de celui de la littérature, mais dont le système de représentation interroge la littérature, et réciproquement.

Des trois livres, lequel vous a donné le plus de travail ?

Travail ? S’il s’agit du temps d’élaboration, il est variable : alors que La Rotonde a surgi entier, en très peu de temps, Hongrie a longtemps « dormi » en un état d’inachèvement, peut-être parce qu’il condense des motifs plus problématiques qui avaient besoin de cette latence.

Vous faites allusion à un tableau de Piero della Francesca dans Hongrie. Pouvez-vous nous en parler ?

Une des œuvres fondamentales pour moi, unique en son genre dans la représentation de la maternité, énigmatique et bouleversante. J’y fais référence dans Les mal famées, dans Nous nous connaissons déjà, et ailleurs, de manière plus diffuse. Au-delà de la question de l’engendrement, ici sacré, c’est celle de toute œuvre qui est posée : d’où viennent les romans, d’où viennent les œuvres d’art…

Avez-vous écrit cette petite trilogie simultanément avec Dans la main du diable et L’enfant des ténèbres ?

Hongrie s’intercale entre deux longs romans, L’enfant des ténèbres et le dernier, que je suis en train d’écrire, une pause. J’avais besoin de construire ce texte court pour recentrer mon écriture, face à la narration romanesque qui suppose un investissement de longue durée d’une tout autre nature.

Quels sont les auteurs qui vous inspirent, ou au contraire vous sortent de l’écriture ?

Le compagnonnage avec les écrivains, leur lecture, est constant, mais cela ne m’inspire ou ne m’écarte pas de l’écriture. J’ai mes livres de prédilection sous la main, ceux dont la présence proche m’est indispensable, physiquement. Je les ouvre, non pour contaminer mon écriture de leur art, mais au contraire pour relancer le défi d’écrire, la jubilation et conviction vitale de la langue littéraire, Hrabal, Giono, Simon, Hugo, Proust, Lowry, Woolf, et tant d’autres ; une intimité et familiarité, une étrangeté de leur langue qui m’accueille et me renvoie à l’écriture. Il suffit parfois d’une page au hasard, ou d’une plongée en apnée plus longue, pour retrouver l’état d’écriture.

S’il n’y avait qu’un livre sur une île déserte ?

Le livre à écrire sur cette île déserte, pour la peupler et la faire exister.


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