Voici une version revisité du conte Peau d’âne de Charles Perrault.
Ce conte classique est régulièrement adapté ou réédité. Chaque année 5 à 10 livres paraissent sur ce conte, parfois inclus dans un recueil, et très souvent illustrés.
Ici, c’est l’auteur de bande dessinée Edmond Baudoin qui s’est attelé à la tâche. Le sérieux, l’inventivité, le soin apporté tant à l’histoire qu’aux illustrations font de cet ouvrage une vraie merveille.
Il n’est point utile de préciser combien Edmond Baudoin est apprécié sur ce blog. Son travail a été, maintes fois, chroniqué : Amatlan, L’Arléri, Le chingom, Patchwork, Roberto… Un choix qui ne se porte volontairement pas vers les ouvrages les plus connus de cet artiste, mais vers certains de ceux qui le caractérisent peut-être mieux : son travail d’artiste, de peintre, ses réflexions sur les femmes, l’amour, le temps qui passe et accomplit son œuvre, ses questionnements sur les rapports entre les générations, sur la magie des histoires contées, sur la mémoire, sur la vie simple et la complexité de la vie, sur Nice et son arrière-pays ; chacun de ces aspects trouve un ou plusieurs échos dans ses œuvres.
Peau d’ânen’échappe pas à la règle. La question des générations - un père raconte l’histoire à sa fille nommée Aile - est au cœur de ce conte qui narre une relation ambiguë père / fille. Le père devenu veuf voit en sa fille, la femme qu’il a aimée. Son désir devient incestueux (l’inceste est un thème déjà abordé dans Amatlan). La question de l’éveil à la féminité chez la princesse qui refuse d’entrer dans le jeu de ce père devenu fou d’amour est aussi un thème de prédilection (L’Arléri) d’Edmond Baudoin.
Le peintre, l’artiste s’en donne à cœur joie dans le traitement graphique de l’histoire. Une double narration (le conte en lui-même et le père qui conte à sa fille), complétée par le témoignage des rêves d’Aile : ce sont trois occasions de proposer des variations graphiques qui transportent et sollicitent le lecteur, sans le perdre, dans trois récits différents. Chaque récit ayant un trait particulier, naïf (insistant sur les couleurs primaires et franches, rouge, bleu, jaune et vert) pour les rêves d’Aile, classique, à la peinture grasse (pastel ou huile) dans la narration du père à sa fille ou admirablement coloré et léger (aquarelle) dans le conte. Trois aspects aussi de la narration et du rapport du conte au réel : un point de vue psychologique, en interprétant les effets du conte sur l’imaginaire enfantin, la distanciation nécessaire donné par les réponses du père aux questions de sa fille, ce dernier dans une position équivoque nourrit aussi son imaginaire, et enfin, la dimension métaphorique et symbolique propre au conte lui-même.
Les rêves d’Aile offrent au lecteur une façon d’envisager les effets d’une histoire sur l’imaginaire, ces pérégrinations dans l’inconscient de l’enfant nous entraînent dans ce qui caractérise l’œuvre d’Edmond Baudoin : toujours interroger le monde, le mettre en perspective afin de pouvoir le comprendre, mieux l’appréhender. Ce voyage onirique est une sorte d’interprétation du conte. Comme si dans un même ouvrage se croisaient un conte classique et une analyse psychanalytique (merci Mr Bettelheim). Formellement nous sommes aussi face à un objet mixte et pourtant très abouti : un texte classique revisité, un album illustré pour enfant et une bande dessinée offrant une narration originale avec une facilité déconcertante. Ni le cinéma, ni le texte écrit n’auraient pu proposer un tel découpage sans que cela ne devienne inintelligible pour un enfant. La bande dessinée montre par ce biais son originalité et sa puissance. Ce texte littéraire, grâce à Charles Perrault - bien qu’issu de l’oralité - devient dans les mains d’Edmond Baudoin une œuvre d’art à tout point renouvelée et admirable. Comme si le conte obtenait ainsi une nouvelle naissance dans ce livre là.
Le découpage du conte en plusieurs soirées (le père raconte un chapitre puis invite sa fille à se coucher et à faire de beaux rêves) lui donne une saveur toute particulière. Le lecteur se retrouve de cette façon dans la peau d’un enfant à qui on raconte une histoire et peut ainsi s’arrêter chaque soir, rêver lui aussi, puis reprendre la lecture un peu plus tard. Il faudrait presque en arriver là pour savourer cette narration. Mais les enfants sont parfois si exigeants qu’il devient difficile de s’interrompre, et pourtant même avec une lecture goulue, la narration n’en pâtit pas.
Bravo !
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Sur le site de Gallimard
Peau d'âne
Edmond Baudoin d'après l'oeuvre de Charles Perrault, Gallimard, collection Fétiche, 2010 - 13,90 €.