Entre 800.000 et 2 millions de français sont descendus dans la rue le 24 juin pour demander le retrait de la réforme des retraites du gouvernement français. Faut-il y voir une révolte des français dans leur ensemble contre une réforme injuste et brutale ?
Une réforme injuste ?
Dans l'hypothèse où l'on veut préserver le système actuel, repousser l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans dans le contexte d'un allongement de la vie n'a rien d'injuste. Même un socialiste comme Didier Migaud à la Cour des comptes rappelle que 62 ans en 2018 équivalent en réalité à 60 ans en 1983 : l'évolution démographique est passée par là. Il y a un moment où il devient totalement irresponsable de refuser de voir la réalité en face, en faisant, qui plus est, payer les générations futures à notre place au nom des « droits acquis ». Symbole sans doute de la solidarité à la française : après moi le déluge.
Par ailleurs, le gouvernement français a tenté d'équilibrer l'effort à fournir pour le financement de la réforme. Les haut revenus sont mis à contribution : élévation de 1 point du prélèvement sur la tranche supérieure de l'Impôt sur le Revenu (41%, et hors bouclier fiscal), augmentation des contributions prélevées sur les dividendes, les plus-value mobilières, les retraites chapeau, les stock options… On peut en revanche déplorer que les retraités actuels n'aient pas réellement à faire d'efforts. Une décision qui pourrait peut-être s'expliquer par l'échéance de 2012 : cette réforme est estampillée « Sarkozy », et le futur candidat doit choyer un électorat facilement ciblé.
Ensuite, le gouvernement a fait le pari d'inclure dans la réforme les fonctionnaires et les régimes spéciaux (SNCF, RATP…). On pouvait s'y attendre pour les premiers. Moins pour les deuxièmes, du fait de la réforme de 2007. Pour les premiers, leur taux de cotisation salariale va être aligné sur celui du privé. Si les syndicats considèrent évidemment cela comme un alignement par le bas, on ne peut en réalité que saluer cette mesure de justice, notamment dans les conditions actuelles. Concernant les régimes spéciaux, la réforme ne leur est imposée, mais qu'à partir de 2017. Un conducteur de train ne pourra alors partir à la retraite qu'à … 52 ans !
On comprend donc que si les chiffres des manifestants on doublé entre le 27 mai et le 24 juin, c'est aussi parce que fonctionnaires (20% de grévistes dans l'éducation nationale, près de 20% dans la fonction publique d'État) et salariés bénéficiant des régimes spéciaux (40% de grévistes à la SNCF) ont grandement contribué aux effectifs pour défendre leurs avantages acquis. Ce n'est peut-être donc pas une manifestation des « français » mais en grande partie de certaines catégories qui n'entendent pas céder sur leurs avantages. Sans doute par solidarité…
Une réforme brutale ?
Pourtant si la réforme peut être considérée comme injuste, c'est qu'elle ne va pas assez loin : elle est effectivement injuste envers les générations futures. Car, même si elle a pu été qualifiée de brutale, force est de constater que cette réforme reste en deçà de ce qu'il faudrait faire pour sauver les retraites. Il suffit de tourner les yeux vers nos voisins européens, qui repoussent à 66 ou 67 ans leur âge légal, pour prendre la mesure de l'irresponsabilité française dans le refus des 62 ans.
A bien des égards, même si on peut considérer que le gouvernement a été courageux relativement au contexte français, la réforme n'en reste pas moins paramétrique. Un replâtrage de plus en somme : pas vraiment brutal. D'autant que la leçon des réformes précédentes est que les scénarii de prévisions des retours à l'équilibre avaient été très optimistes. Pourquoi en irait-il différemment aujourd'hui ? Notamment lorsque l'on sait qu'un taux de chômage de 4,5% est prévu pour 2021 dans le scénario proposé, il y a de quoi s'inquiéter : l'hypothèse est totalement irréaliste. Par ailleurs l'utilisation des 33 milliards du fonds de réserve des retraites, espèce d'amortisseur conjoncturel, peut légitimement soulever la controverse.
Enfin, la réforme prolonge le modèle par répartition, dans lequel une génération vit aux dépens de la prochaine, ce qui est effectivement injuste. Le gourvernement a en effet non seulement oublié le pilier capitalisation mais, qui plus est, tapé plutôt fort sur l'épargne. C'est un point très négatif. Il paraît ainsi évident désormais que le gouvernement n'entend pas promouvoir l'épargne individuelle de long terme, et que celle-ci n'entre pas dans son champ des possibles pour une réforme réelle et crédible du système de retraites. C'est fort dommage puisque s'éloigne ainsi toujours plus l'option de la responsabilité. L'ancrage étatiste, collectiviste, contre la liberté du choix, contre la diversité et contre l'épargne, est donc clairement affiché. L'électorat qui avait vu en M. Sarkozy un vrai réformateur en faveur des libertés, sera sans nul doute en tenir compte en 2012.
S'il y a quelque chose d'injuste et de brutal c'est aussi la demande de certains français de toujours plus de « Politique du Père Noël » pour les exonérer de leurs responsabilités sous les oripeaux d'une solidarité qui possède tous les attributs de son contraire. Il faut dire qu'ils ont été couvés par un État nounou durant des décennies, qui les protège d'une certaine manière de la réalité. La prise de conscience est forcément difficile.
Voir aussi :
Passer à la retraite par capitalisation, Aurélien Véron
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