" J'ai deux fils que j'adore. J'ai trente-deux ans sur mon acte de naissance, j'en ai cinquante sur ma figure, je ne dirai pas combien a le reste. Dix-huit ans de tirades passionnées sur le théâtre, des courses folles au bout de tous les mondes, des hivers de Moscou, des trahisons de Waterloo, la mer perfide, la terre ingrate; voilà qui vieillit vite un pauvre petit bout de bonne femme comme moi!"
(Rachel à Jules Lecomte, 11 mars 1856)
Assemblés à l'heureuse et libre initiative d'Agnès Akérib, ces fragments de correspondances, mémoires et chroniques, dédiés à Elisabeth Rachel Felix (1821-1858) forment un petit bijou.
Les missives de l'étoile filante succèdent à celles de ses correspondants, révélant ainsi, pan par pan, des épisodes de la vie de la célèbre comédienne. Adulée pour son rôle de Phèdre dans la pièce éponyme de Racine, l'actrice se consumera en quelques années, au service de son métier. Elle décède, à 37 ans, de la tuberculose.
Amis, admirateurs, poètes, princes et ..amants graviteront autour d'elle, qui lui décocheront des tirades passionnées, des flèches désabusées. Elle jouera de la plume et des registres comme d'une scène épistolaire parfaitement maîtrisée: les considérations quotidiennes alternant avec l'émotion, les soufflets et le persifflage, subtil et ...hilarant.
" Je savais qu'avec les sots il faut peser ses moindres paroles. J'ignorais qu'il y eut des hommes d'esprit avec qui les mêmes précautions fussent nécessaires."
(Rachel à Alexandre Dumas, Lyon, 16 juillet 1843)
La lecture-spectacle de ce petit régal sera créée le vendredi 9 juillet, à 17h30, au Jardin du Mail(Grignan) lors du Festival de la correspondance de Grignan.
Mise en lecture, Christophe Correia. Avec Chloé Oliveres, Fred Nony, Jean-Marc Royon, Eric Pierrot.Je vous la recommande expressément.
Apolline Elter
Mademoiselle Rachel, étoile filante, Agnès Akérib, Triartis, Scènes Intempestives à Grignan, mai 2010, 74 pp, 10 €
Renseignements et réservations: www.grignan-festivalcorrespondance.com
Tél: 0033.(0)4.75.46.55.83
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Billet de faveur: Agnès Akérib
AE : La correspondance d'Elisabeth Rachel Felix existe-t-elle sous forme structurée ou avez-vous dû la reconstituer ?
Agnès Akérib : Après la disparition de la tragédienne en 1858, l'un de ses familiers a rassemblé une petite partie de la correspondance ; avec l'accord de la famille. Cet ouvrage qui comporte les souvenirs de l'auteur, Georges d'Hellys, les lettres de Mademoiselle Rachel et de certains de ses correspondants, a été publié en 1882. Mais la source principale des lettres manuscrites de Mademoiselle Rachel, ainsi qu'une abondante documentation, se trouve à la Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française. J'ai tenu à effectuer mes recherches dans les chroniques, articles de journaux et revues, recueils de souvenirs de l'époque (Musset, Gauthier, Janin, Hugo, Girardin, Samson, Dumas, etc.) Afin de garder un œil neuf et de ne pas " copier " tel ou tel ouvrage récent, sans vérification ! Toutefois, après avoir consulté cette manne - et retenu ce qui me paraissait digne d'intérêt, ce qui aurait pu représenter plus de deux cents pages ( ! ) - j'ai comparé les extraits que j'en avais tirés avec le seul travail que j'estime digne de foi, celui effectué par Sylvie Chevalley qui fut bibliothécaire au Français.AE Les lettres choisies - les siennes et celles de ses correspondants- procèdent par petits traits, qui brossent chacune un pan de personnalité. On la découvre tantôt grave, souffrante, affable, respectueuse... tantôt rieuse, crue ou carrément moqueuse.
Comment avez-vous opéré la sélection des lettres ?
Agnès Akérib : La sélection des lettres ! Elle a demandé un travail délicat, tel celui qui précède le montage d'un disque musical. La documentation étant trop abondante, il fallait qu'elle réponde aux critères du Festival de la Correspondance de Grignan et des éditions Triartis qui, tous deux avaient retenu le sujet : que la lecture - spectacle ne dépasse pas le temps alloué et que... le spectateur autant que le lecteur puisse approcher et aimer cette grande figure du début du XIXe siècle, d'une étonnante modernité.
Une Rachel, comme vous avez pu le remarquer, tout à la fois facétieuse, gamine, amoureuse, cultivée, acharnée au travail, tendre... toujours étonnée d'être traitée comme une reine chez les têtes couronnées de l'Europe, elle qui avait débuté à huit ans en chantant dans les rues. Il fallait ménager à la fois la chronologie et les plages d'intensité, les mouvements légers, les colères, les dramatiques... et, en filigrane, la passion de Rachel pour le théâtre, la vie du théâtre et le théâtre de la vie. L'une de nos lectrices, en lisant cet opus, ne s'y est pas trompée en me disant : " A le lire on a l'impression d'écouter une sonate ! ".A.E.La correspondance, les chroniques, affichent des noms célèbres, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Jules Janin ...beaucoup d'admirateurs mais aussi quelques traits vengeurs. Tel Dumas, amoureux éconduit, qui écrit et s'écrie :
" Comme Ingres à l'Exposition, elle a sa salle à elle - la salle des morts - qu'elle y reste ! "
La hait-il à ce point ?
Agnès Akérib : Sans vouloir trop m'avancer, je suppose qu'Alexandre Dumas, outre le fait d'être éconduit, n'avait pas supporté que Rachel ne poursuive pas les représentations de sa pièce Mlle de Belle-Isle, en 1850. A ce drame " moderne ", Mademoiselle Rachel préféra revenir au répertoire classique, et ne reprendre que la pièce de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue.
Je n'ai pas trouvé trace de réconciliation, d'autant que Rachel partant pour le fatal voyage en Amérique n'a pas dû supporter que Dumas encense bruyamment dans son journal Le Mousquetaire - à son détriment et à celui du Théâtre-Français - une comédienne italienne, la Ristori ; cette dernière avec sa troupe séduisit un temps le public versatile de l'Exposition universelle de 1855.
Fait curieux, lors des obsèques de Rachel, Alexandre Dumas était l'un des quatre à tenir les cordons du cercueil parsemé d'étoiles, posé sur un corbillard tiré par quatre chevaux