Quel combat !
Mahyar Monshipour a perdu son titre mondial par arrêt de l'arbitre au dixième roud. Dix rounds de folie où les deux boxeurs s'en sont foutu plein la tronche sans broncher. On peut ne pas aimer la boxe et son côté grégaire. Voir deux mecs (ou deux femmes d'ailleurs) se mettre sur la gueule est un spectacle qui peut choquer. J'en conviens.
Mais on ne peut qu'admirer et respecter le courage de ces deux mecs. Avachi dans mon canapé, coincé entre un paquet de Pepito et un autre de barquettes chatons de LU, j'en avais la chair de poule. A l'issue de la rencontre, le respect que les deux boxeurs se sont témoigné était beau et visiblement sincère. "C'est ça la boxe", a commenté Monshipour au micro de Canal+ en prenant le Thaïlandais par les épaules.
Au-delà du boxeur, Monshipour semble également être un type extra. Toutes ces interviews sont riches et passionantes. Pas de langue de bois, de la sincérité, toujours de la sincérité, cette qualité qui fait tant défaut dans cette putain de société de merde où tout le monde joue avec tout le monde et où tout le monde triche avec tout le monde, y compris avec soi-même.
Je vous ai fait une petite compil des déclarations de Monshipour. Ce petit mec mesure seulement 1,64m mais c'est un géant.
"Lors de mes deux premières années pros, je touchais 6 000 francs par combat (915 euros). Ce n'était déjà pas énorme. Mais, maintenant, pour un quatre rounds, un jeune prend entre 300 et 400 euros, et 500 euros pour un six rounds. Juste de quoi payer une partie du crédit de son canapé d'occasion."
"Devenir un boxeur reconnu a transformé ma vie. Quand tu t'appelles Mahyar Monshipour, c'est plus facile quand tu passes à la télé, dans les journaux. Quand j'appelle l'administration, que je réserve un hôtel, normalement mon nom devrait être une source de complication, mais, depuis que je suis boxeur, au contraire, il simplifie tout, il ouvre les portes. Ma vie est plus belle, plus simple."
"Je suis arrivé en août 1986 dans un pays qui n'a pas été construit par mes ancêtres. Pourtant, j'ai profité de l'école gratuite, de la sécurité sociale. On m'a offert des livres pour étudier, j'ai pu manger à la cantine. Rien n'obligeait la France à me considérer comme l'un de ses enfants. Cela ne me choque pas d'avoir dû faire mes preuves. Parce qu'au départ, on m'a donné, sans, qu'au fond, je ne mérite rien. Je suis fier de payer mes impôts en France. Je sais bien que le passé colonial liant la France à d'autres pays d'immigration complique la relation, mais je conseille pourtant à tous ceux qui ont le même faciès que moi de rejeter les idées reçues et de considérer ce que ce pays leur donne. De réaliser que l'on n'est pas si mal ici."
"Le gamin qui fait son premier combat a autant de mérite que moi, sinon plus. Moi, je sais me protéger, lui pas encore."
"Un soir, il y a quatre ou cinq ans, j'étais à Valence et, entouré de deux autres "faciès", je me suis fait refuser l'entrée d'une boîte de nuit. Je me suis dit que cela devait être la vie de tous les jours pour certains. Alors je leur dis : « Souriez, dites bonjour à la boulangère, elle vous le rendra, ne faites pas la tête même si vous vous appelez Mohammed. « Moi, cela ne peut plus m'atteindre, surtout depuis mon titre de champion du monde. Il a changé ma vie, m'a libéré car les gens me connaissent. Mais quand une ménagère de 60 ans qui a peut-être connu la guerre d'Algérie et n'aime pas trop les basanés, ne me reconnaît pas, cela devient un challenge de la séduire. Je redeviens « le copain momo ». Mais si je n'arrive pas à la faire sourire, je me dis qu'elle n'a rien compris."
"C'est dans la possibilité de rencontres, d'acceptation des règles, de dépassement ultime pour essayer de gagner, mais aussi dans la gestion et l'analyse de l'échec, que la pratique sportive prend toute sa dimension et qu'elle devient un véritable acte socialisant."
"Je me dis toujours : « Sache qu'autour de toi, il y a des gens qui, en voyant ta tête, pensent que tu n'as rien à faire dans ce pays et que tu prends un boulot pas à toi. « En Iran, il y avait 4 millions de réfugiés afghans. La plupart, manoeuvres dans le bâtiment, étaient traités comme des chiens. Je sais qu'on est toujours l'Arabe de quelqu'un. Non, la France ne me doit rien. Non, la France n'est pas mon pays au départ. Non, mon papy n'était pas sur le front... Plus jeune, j'ai vite pensé que j'avais une dette envers ce pays et rien à revendiquer."
"Un des plus grands cardiologues français est un vieil Iranien. C'est un ponte, mais quand il marche dans la rue avec son faciès marqué, il sera toujours l'Iranien ou l'Arabe de base. Si on croise Zidane dans la rue, à part des extrémistes, on a oublié que son père vient de Kabylie. Il a gagné ça ! J'aimerais que des petits «momo» de France aient envie un jour de devenir Monshipour."
"La France est mon pays. Je m'y suis marié et j'y paie mes impôts. Tout est propre et facile. Je veux laisser cela à mes enfants et mes petits enfants, même si j'ai en moi une double culture. J'espère qu'ils iront comme moi à l'école gratuite, bénéficieront du bus pas cher, du ramassage scolaire... J'ai peur qu'on revienne en arrière en France. J'aimerais que tous les pères de famille de mon origine transmettent à leurs gamins en révolte qu'ils ne doivent pas être paranoïaques, qu'ils sont bien citoyens d'ici, que, pour la plupart, ils l'ont choisi, et qu'ils ne sont ni plus, ni moins bien lotis que tous les Français."
"N'attendons pas du sport qu'il soit le nouvel opium du peuple des jeunes : courir derrière un ballon, se faire des passes et construire une stratégie d'équipe est certes utile au développement des qualités motrices et à l'acquisition des règles sociales, mais ne participe pas forcément à l'épanouissement personnel et, surtout, cela ne donne ni travail, ni revenu, ni toit, ou très rarement.
Au lendemain de la victoire des Bleus lors de la Coupe du monde de football 1998, on a voulu faire croire que tous les Momo, toutes les Fatima et tous les Dieudonné pouvaient devenir des Zinédine (Zidane), des Lilian (Thuram) ou des Thierry (Henry). C'était un mensonge. La réalité est autre.
La ségrégation, par le regard, par les mots, a produit son effet : deux France continuent de se côtoyer sans se comprendre, de se croiser sans s'aimer. Non, le sport ne sera pas l'opium des jeunes. Le sport ne sera pas la solution miracle aux maux qui se sont exprimés récemment dans les banlieues, mais il peut nous permettre de trouver des solutions parmi d’autres solutions. Il est un outil, un bel outil, mais un outil.