ou bien un sens unique
Vous pourriez faire ce que fait ce Mozart des portières ? Sans doute pas. Vous savez ce qu'il fait ? Sans doute pas non plus.
Cette étrangeté humaine qu’est le division du travail et qui nous traverse de part en part. Nous nous définissons comme ce que nous faisons bien. Cette succession de
choix irréversibles constitue notre densité sociale. Bûcheron ou professeur, épicier ou médecin. Ces milliers d’attitudes fondues en un seul homme qui fait qu’on occupe un segment de la bande
passante du travail. Notre travail nous définit alors que nous aurions pu faire mille autres choses. Mais être mille autres choses ?
Nous incarnons un des possibles de ce nous aurions pu être. De plus, notre travail est daté, connoté par l’ensemble des rituels technologiques qui nous entourent.
Regardez donc la virtuosité de cet homme. Il ne sait faire que cet ensemble de gestes impressionnants, mais il les enchaîne à la perfection. Mieux encore qu’un robot sophistiqué. Toute son
intelligence est sous vos yeux dans cette chorégraphie. La vôtre aussi, elle tient sans doute en une poignée de savoirs faire et de concepts ; une hallucinante poignée que vous avez mis des
années à sophistiquer, à polir. Et voilà votre définition par votre savoir faire. Mais que savez-vous donc faire d’autre qui mérite un salaire ? Rien, sans doute. Ou si peu qui dévie de la vie
courante.
On est donc un Mozart, non par génie, mais par persévérance, par la pluie des jours sur nos gestes et nos pensées. Un Mozart, alors que souvent on aurait aimé être un Picasso, un orfèvre de sa
vie. On est déçu parce qu’on ne sait faire que peu de choses en somme.