J’aurais pu appeler cet article, « de coïncidences en coïncidences » aussi. Mais, je ne vais pas revenir sur ce débat sur le hasard (objectif ou pas) qui m’a occupée, parfois me tarabuste encore mais qui, par bonheur, m’entraîne vers des questionnements qui eux-mêmes se limitent au jeu, rien de plus.
Ce soir, je faisais un cours sur le suicide (et oui, c’est au programme !). Outre que j’ai l’habitude de parler surtout du suicide du sujet âgé masculin de plus de 85 ans , du suicide au travail (France Télécom, La Poste et Foxconn…), du suicide en prison (La France la première dans l’Europe des 15, triste record…) j’ai parlé bien sûr du suicide chez les adolescents, rebondissant, avant que ce soient les étudiants qui m’en parlent, sur l’affaire de Coursan. Je m’attendais à la rélefexion : C’est la faute à Facebook. Et ça n’a pas loupé !
Ces jeunes ont communiqué entre eux sur FB et c’est comme ça qu’ils se sont mutuellement entraînés.
Alors, je leur ai parlé de Goethe, Werther, et de l’épidémie de suicides que ce roman avait suscité à travers l’Europe. Ce fut plus lent, le temps que les traductions contaminent toutes les âmes fragiles et romantiques à travers l’Europe. Comme disait Mme de Staël : « Werther a causé plus de suicides que la plus belle femme du monde.. » Pauvre garçon qui souffrit tant pour Lotte
Donc, après mon petit coup de gueule amical et bienveillant vis à vis de l’étudiante qui a sorti ça (des ministres disent la même chose…), après le cours, j’ai poursuivi la lecture (qui doit être lente pour en garder tout le plaisir) des Détectives Sauvages de Roberto Bolaño.
Voici donc ce que j’y ai trouvé par hasard au milieu des 930 pages, pile poil ce soir :
Il y a une littérature pour les moments où on s’ennuie. Elle est abondante. Il y a une littérature pour les moments où on est calme. c’est la meilleur littérature, je crois. Il y a aussi une littérature pour les moments où on est triste. Il y a une littérature pour les moments où on est joyeux. Il y a une littérature pour les moments où on est désespéré. C’est celle-ci qu’Ulises Lima et Belano ont voulu faire. Grave erreur, comme on va voir dans ce qui suit. Prenons par exemple, un lecteur moyen, un type tranquille, cultivé, mûr, menant une vie plus ou moins saine. Un homme qui achète des livres et des revues de littérature. Bon, voilà. Cet homme peut lire ce qui est écrit pour les moments où on est serein, les moments où on est apaisé, mais il peut lire n’importe quel genre de littérature, d’un oeil critique, sans complicités absurdes ou lamentables, avec détachement. Voilà ce que je crois. Je ne veux vexer personne. Maintenant prenons le lecteur désespéré, celui à qui est supposée s’adresser la littérature des désespérés. Qu’est-ce que vous voyez d’abord ? D’abord : il s’agit d’un lecteur adolescent ou d’un adulte immature troublé qui a des nerfs à fleur de peau. C’est le crétin typique (vous me passerez l’expression) qui se suicidait après avoir lu Werther.
Donc peut-on conclure que les pages de Die Leiden des jungen Werther sont aussi toxiques que Facebook ?
Bolaño venait de me donner raison, du moins appuyer mes arguments. D’ailleurs, il n’y pas que dans ma salle de classe que de tels raccourcis sont prononcés : ça l’est aussi par quelques journalistes qui se délectent de faire de FB la mère de tous les maux d’une société.