Aujourd’hui j’ai le plaisir de recevoir la photographe Dorianne Wotton , elle a remporté une petite interview grâce au passionné de la semaine. Je vous invite à vous rendre sur son blog/flickR pour en voir encore plus.
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Peux tu te présenter en quelques lignes ?
Aurélie de mon vraie prénom, 30 ans, je vis et travaille sur Paris. Deux bras, deux jambes, une tête, trois yeux.
J’ai suivi un cursus tout à fait classique. Après avoir touché à différentes pratiques artistiques, c’est en autodidacte que j’ai fait l’apprentissage de la photographie, depuis 2007, année où je reçois mon premier appareil-photo. J’ai fait cet apprentissage « sur le tas », avec néanmoins les conseils, avis et critiques de différents professionnels.
Ce cheminement peut avoir des inconvénients. Il présente néanmoins l’avantage de se libérer des contraintes techniques et d’avoir une approche plus instinctive, plus libre.
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Quel est ton matériel photo ?
Je canonise!!! Et je jongle entre différents cailloux, en fonction des séances et de « l’inspiration du moment ». Enfin, je privilégie la lumière naturelle!
Je mentirais si j’affirmais qu’il ne m’arrive jamais de « rêver » de tel boîtier, tel objectif, etc. Néanmoins, j’ai appris à me contenter de ce que j’ai… et à faire avec ce que mes moyens financiers me permettent (on en revient malheureusement toujours à ces considérations pragmatiques…)!!!
Je ne suis pas obsédée et finalement peu au fait de l’actualité des nouveautés « techniques ». Je ne cherche pas à avoir absolument LA nouveauté. Les choses seraient tellement simples si c’était le matériel qui permettait de faire les bonnes photos. L’important, selon moi, c’est le regard que l’on porte sur les choses. Avoir l’œil. La technique, comme le matériel, aident. Mais ça ne suffit pas. Les aspects « matériels » ne m’intéressent donc que de manière secondaire. J’attache plus d’importance à la sensibilité créative. De toute façon, compte tenu de mon approche graphique (je privilégie le grain, le vignettage, le flou, le bruit, etc.), je doute que l’acquisition de très haut de gamme soit utile! Avoir du bon matos pour massacrer l’image… à quoi bon?-
Comment est venue la passion de la photo ?
Par hasard! Par curiosité! Par nécessité! J’ai toujours ressenti le besoin de pratiquer divers modes d’expression. Je n’isole d’ailleurs pas cette passion de mes autres pratiques, plus confidentielles (écriture, musique). Par ailleurs, plutôt que de « passion de la photo », je parlerai plus volontiers de « passion de l’image » (je commence d’ailleurs à m’intéresser à la vidéo…)
Quel que ce soit le moyen, il s’agit pour moi de montrer le monde tel que je le ressens, souligner l’obscur, le mystérieux… Pointer ce qu’on comprend de misère, de faiblesse, de banalité, de laid… Attirer le regard sur ce qui fait sens, sur ces multitudes de petites choses sur lesquelles les regards ne s’attardent pas car elles ne rentrent pas dans les codes esthétiques ou moraux. Intéresser et montrer ce que le monde peut avoir de noirceur, de douloureux, etc. Reconnaître que tout est habité par le chimérique, le fictif, l’imaginaire, l’irréel, bref le romanesque. C’est ce que je regroupe sous le concept « d’esthétique de la désolation », étiquette qui vaut ce qu’elle vaut…
La photographique me permet de représenter cette « esthétique de la désolation ». La photo fait rêver, elle travaille notre rêverie et notre inconscient, elle habite notre imagination et notre imaginaire. Elle nous fait basculer dans un autre espace et un autre temps.
C’est ainsi qu’il y a quelques années, un appareil entre les mains, je me suis aperçue que la photographie pouvait être (elle aussi!) un puissant vecteur me permettant de transcrire ces images mentales que je ne savais exprimer, de matérialiser mes visions. En somme, la photo se veut la traduction graphique de ma perception du monde. Par ailleurs, la capture de l’image est rapidement devenue une grande joie physique et intellectuelle.
Les première photos que j’ai réalisées ont d’abord été des natures mortes. Puis j’ai commencé à réaliser des autoportraits. En effet, je manquais cruellement de confiance en moi et je ne me sentais pas légitime « dans ce milieu » (d’ailleurs, mon ressenti sur ces deux aspects n’a guère évolué et j’ai un avis très critique, voire très négatif, sur mon travail).
Après quoi j’ai commencé à prendre en photo des membres de mon entourage.
Depuis peu, j’ai passé le pas, et j’ai commencé à travailler avec des modèles. J’essaie de rendre compte de la profonde complexité des êtres, des choses et situations en cours.
Même si je suis souvent traversée par des périodes de doutes (mais c’est somme toute assez sain et constructif: ça permet de ne pas se reposer sur ses lauriers mais au contraire d’avancer, se remettre en question, évoluer, et j’espère s’améliorer), j’espère que cette passion n’en est qu’à ses prémisses et que mon parcours photographique n’en est qu’à ses débuts!
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Quel est le thème photographique que tu affectionne particulièrement ?
Je n’ai pas de thème de prédilection. Tout dépend de mon inspiration du moment.
Ces derniers temps, je m’intéresse surtout à la « représentation de la folie ». Représenter des hallucinations, la maladie physique et mentale. Photographier du psychique. Vaste projet.
Je ne suis même pas certaine de savoir ce que cela signifie moi même. En substance, j’essaie (sans être certaine que j’y parvienne) de faire ressortir le côté spontané, naturel d’un personnage, d’un fait, tout en soulignant sa complexité… Livrer la complexité des êtres, jouer sur les ambivalences et les ambiguïtés… Donner du glauque, du beau, de l’émotion à travers la dureté d’une image.J’essaie que chaque image soit la trace énigmatique de ce qui fait rêver et de ce qui fait problème, de ce qui fascine et de ce qui inquiète. Transporter le spectateur vers un ailleurs bien au-delà de la simple réalité. Que chaque photos soient autant de pièces fantasmagoriques d’une vison du monde. Une visualisation hallucinatoire du concret. Une « sensorialisation » hallucinatoire. Un réel foisonnant halluciné. C’est flou, non?
Mais de manière générale, tant que les objets et sujets de mes travaux graphiques répondent à la démarche que je mentionnais plus haut, tout est susceptible d’être objet de prise de vue. J’appréhende chaque série comme une nouvelle mission, une errance, une recherche en faveur de ces images qui visent avant tout à mettre en scène l’esthétique de la désolation. Cette démarche se caractérise alors visuellement, quelque soit le sujet, par des ruptures, des discontinuités et une poïétique du décalage, du métissage et de l’amalgame. Une photographie artistique, création pure et sans contrainte, instinctive mais réfléchie, tour à tour poétique, conceptuelle, sociale… Photographier sans se contraindre à des règles d’art issues d’autrui; mais au contraire suivre ses émotions, prêter attention à ce que l’on ressent. Je m’insurge (à voix basse…) contre les « académismes ». Et je m’autorise le droit de ne pas ôter à la photographie cette liberté qui accorde au dessin et à la peinture (par exemple) de jouer avec le temps, de créer des fictions, de travestir la réalité. Oui, je passe outre le caractère rigide du langage technique et l’apparente indicibilité de la sensation. Et ça, ça justifie bien une « intoxication graphique ». Pour ce faire, il faut parfois tricher, truquer, manipuler, détourner. Je crois que cela se voit sur mes photographies!
Je ne me limite donc pas par un format photographique ou des tabous. Grain, flou, textures, surimpression, déformation, accidents. Je fais rendre tout ce qu’il peut à ce procédé. Et par là, je cherche très modestement à montrer que l’on peut casser les codes sans être immédiatement accusée d’atteinte au bon goût (quoique si certains veulent me saisir mon matériel pour ce chef d’inculpation, ils peuvent le faire. Mais comme je l’ai dit plus haut, je ne suis loin d’être la mieux pourvue en matériel dernier cri!!!
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Quels sont les photographes qui t’inspires ?
Je ne sais pas si c’est un avantage ou un inconvénient, mais je ne prétend pas avoir une connaissance encyclopédique en la matière. Néanmoins, curieuse de nature, je m’intéresse aux travaux des autres photographes. Amateurs ou professionnels. Connus ou méconnus. De toute façon, la frontière est bien ténue entre ces catégories.
Toutefois, quelques photographes m’animent et me transportent.
Simon Marsden m’a donné envie de passer derrière l’objectif. Son univers est une invitation au mystère. J’étais fascinée à la vue de ces photographies. Puis j’ai découvert d’autres artistes. Mes goûts et inspirations sont somme toute assez éclectiques: Ackermann, Clark, Callahan, Witkin, Corbjin, Arbus… Ils sont si nombreux, si variés… Par ailleurs, c’est une question toujours délicate: il y a toujours ce risque d’en citer un et d’en omettre un autre, ce qui ne signifie nullement une préférence pour le premier ni un quelconque désintérêt pour le second!
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Quelle serait la photo que tu aimerais faire ?
Voilà une question que je ne me suis jamais posée… et que je pense ne jamais me poser! D’une part, je ne vis pas au conditionnel. Je suis une instinctive et j’ai toutes les difficultés du monde à me projeter. Et puis, d’autre part, c’est un peu comme un rêve ou un fantasme que l’on réalise: que nous reste-t-il une fois que cet immense plaisir a été réalisé? En formalisant trop précisément une photo idéale, j’aurai trop peur que sa réalisation laisse par la suite la place à un immense vide.
Enfin, cette question sous entend que je puisse avoir une vision claire et arrêtée de ce que je souhaite photographier. Or, j’espère quand même évoluer!!!
Je raisonne davantage sur ce qu’est, à un moment T, la photo idéale. Et bien c’est celle qui est poignante, qui véhicule des émotions vives à celui qui la voit, qui n’est pas qu’esthétique. Que l’image remplace l’opium et qu’elle enivre tout éveillée! Cette photo là, je la cherche au quotidien; c’est en perpétuelle évolution. C’est une quête permanente. Un moteur!
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Aurais tu des conseils ou des améliorations à suggérer pour photopassion.fr ?
De continuer à nous offrir cette tribune le plus longtemps possible?
Plus sérieusement, la toile regorge de sites et blogs testant le matériel, diffusant des tutoriels, etc. Mais les « bons plans » pour les photographes, qui visent à les aider dans la pratique « concrète » de leur passion sont plus rares. Exemples: Où trouver un studio ou un lieu pour shooter? Où effectuer ses tirages? Où exposer? Et le tout sans se ruiner, bien entendu! (il y a de l’utopie dans ces suggestions…). Ce genre d’informations font relativement défaut.