Dans son rapport relatif à la proposition de loi sur la prise illégale d’intérêt, Mme Anne-Marie Escoffier déclare : « Même si le délit n'est pas constitué, le simple soupçon peut porter un préjudice fatal à la personne désignée ». C’est l’erreur judiciaire d’Outreau qui a porté ce que l’on est en droit d’appeler un coup fatal à plusieurs innocents. Mais ce qualificatif de fatal est ici totalement déplacé, surtout si l’on considère, que, sur la période 2005 à 2007, c’est l’année 2006 qui a enregistré le nombre maximum de condamnations prononcées pour des élus, soit 19, le nombre maximum d’emprisonnements avec sursis, soit 6, et le nombre maximum d’amendes soit 9, pour une moyenne de 1.588 euros. Ces malheureux élus n’ont pas été sanctionnés mais soumis au supplice de la roue, n’est-ce pas ? Et si l’on rapporte l’énormité de ces nombres à l’immensité des décisions susceptibles d’être examinées, on est pétri de terreur devant les risques encourus par nos élus.
Au cours de l’examen en commission, son Président, M. Jean-Jacques Hyest a eu ces mots admirables : « Notre pays, moins corrompu que d'autres, est parfois jugé par des gens qui feraient mieux de se juger eux-mêmes... » . Quelle hauteur de vue ! Nous pouvons être fiers d’avoir des représentants de ce calibre.
A l’issue de l’examen en commission, Mme Anne-Marie Escoffier déclare que la commission modifie « l’intitulé pour bien souligner qu’il s’agit d'un texte de clarification : Proposition de loi visant à clarifier le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêts. ». Ainsi, nos sénateurs ont l’impudence d’appeler cette modification une clarification du texte. Est-ce incohérence des services du Sénat ou de nos commissionnaires ? Le texte mis en ligne sous le titre « Examen en commission » indique que cette proposition vise « à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêt des élus locaux ». Alors, clarifier ou réformer ? Je pencherais plutôt pour réduire.
On demande aux aspirants à un droit de séjour en France de démontrer qu’ils parlent français. Il me paraît opportun de demander à nos législateurs un certificat d’aptitude à écrire le français. Qu’il s’agisse de clarifier ou de réformer, ce qu’ils ont écrit signifie que, dans le cas de la prise illégale d’intérêt, la loi est destinée à définir le champ des poursuites. Soit, en reformulant cette phrase sans la déformer, lorsque le délit de prise illégale d’intérêt est constitué, la loi précise ce qu’il convient de poursuivre et ce que l’on peut classer sans suite. Une formulation du genre « le champ de détection de la prise illégale d’intérêt » me semble plus adéquate. Notons aussi que, sous la plume du rapporteur, intérêt s’est vu gratifié d’un s, absent du Code pénal, et qui en change la signification.
Autre exemple de l’excellente maîtrise du français de nos sénateurs. Dans son exposé général, le rapporteur titre ainsi la première partie de celui-ci : « I) Le délit de prise illégale d’intérêt : le moyen d’assurer la confiance … ». Contrairement à la sottise ainsi écrite, ce n’est pas le délit de prise illégale d’intérêt qui assure la confiance des citoyens mais bien sa sanction.
Pour ma part, ma décision est prise. Entre réformer et clarifier, je choisis réformer : certains de nos sénateurs ne méritent qu’une chose, être réformés, c'est à dire mis au rebut.