Dans l'éditorial qu'il signe à la page 5 du dernier numéro, le douzième, du magazine trimestriel Grande Galerie, Le Journal du Louvre, Henri LOYRETTE, Président-Directeur du Musée mentionne, en substance, toutes les magnifiques expositions cachées et dont personne ne parle qui, selon ses propres termes, sont déguisées sous le nom de "collections permanentes".
Il est manifeste que, contrairement à vous, amis lecteurs,
Monsieur Loyrette n'a pas la chance (
Je pense ... ; non, je ne pense pas : j'affirme péremptoirement, pour l'avoir constaté maintes et maintes fois, qu'en majorité, les touristes qui le parcourent s'y engouffrent au pas de charge dans la seule optique d'accéder le plus rapidement possible là où ils savent pertinemment bien qu'ils trouveront ce qu'ils considèrent comme le nec plus ultra, si pas le seul art valable : celui de la sculpture monumentale.
Ce que les trois espaces en enfilade constituant la salle 12 dédiée au temple déploient en fait à l'envi.
Se comportant ainsi, au gré des vitrines, ils regardent sans vraiment voir. Et passent à côté de petits bijoux qui, à eux seuls, mériteraient pourtant une attention plus que passagère.
Ce sont ces petits monuments oubliés, peu admirés, laissés pour compte, comme les quelques-uns qu'il nous reste à évoquer dans la deuxième vitrine de la salle 5 devant laquelle nous nous trouvons maintenant depuis la rentrée 2009, que je voudrais mettre en lumière au cours des derniers rendez-vous que j'escompte programmer les prochaines semaines, avant le nouveau congé scolaire de l'été 2010.
Mardi dernier, déjà, parmi les objets de toilette sur lesquels nous allons nous pencher, je vous avais proposé un très bel étui à kohol en os.
Aujourd'hui, c'est sur un remarquable - mais si peu remarqué ! - coffret à onguents que je voudrais m'attarder.
De forme cylindrique, réalisé dans du bois de caroubier, il provient de l'ancienne collection Drovetti.
(Puis-je me permettre de vous suggérer, concernant ce personnage et l'origine des pièces égyptiennes du Louvre, de consulter un article capital en la matière que j'avais publié le 19 mars 2008, le lendemain de la création de mon blog ?)
A propos du relief du Lirinon exposé dans la vitrine 9 de la salle précédente, j'avais évoqué, les 24 et 31 mars 2009, les parfums et autres onguents qui pouvaient tout à la fois servir pour les cultes rendus à une divinité dans un temple, mais aussi, dans la vie domestique quotidienne, pour les soins esthétiques, voire thérapeutiques : ce sont semblables produits que contenaient les différents compartiments de cette boîte de seulement 13, 5 cm de long et 7 de diamètre : cinq cases d'un côté - celui visible sur le premier cliché -, et quatre dans la seconde partie, posée dessus.
S'ouvrant dans le sens de sa hauteur en faisant glisser l'une des deux moitiés sur l'autre, elle présente aujourd'hui pour nous l'avantage d'être extérieurement gravée de séquences animalières encadrées de frises décoratives : trois niveaux de pétales dans la portion supérieure, ainsi qu'en dessous, deux surmontant une décoration que les égyptologues nomment en "façade de palais".
En outre, ces différents bandeaux sont séparés des deux scènes proprement dites par un mince filet de lignes ondulées, manière codifiée de figurer les vagues du Nil : il nous faut ainsi comprendre que nous sommes dans un environnement palustre.
D'un côté, la première scène nous montre deux chiens s'attaquant
à un veau dans un fourré de papyrus ;
au-dessus du second chien qui mord dans une des pattes antérieures de sa victime,
s'envole un oiseau aquatique.
De l'autre côté du cylindre, celui fendu et recollé, la deuxième scène gravée, extrêmement symbolique, propose, dans le même biotope, un lion dont, détail remarquable et rare, la tête nous est présentée de face. Il tient en sa gueule également un veau qu'il emporte manifestement avec lui.
Derrière eux, l'artiste a cru bon d'ajouter la touche maternelle : une vache déplorant le rapt et la perte imminente de son petit.
Dernier détail, technique cette fois : le graveur qui fut à même de restituer tous ces événements douloureux sur un espace aussi restreint s'est autorisé, pour rendre encore plus vivant l'aspect des choses, à incruster d'os les corps des animaux et à colorer de pâte végétale rouge et verte les trais gravés dans le bois.
Du très grand art ...
Même si, dans de précédentes interventions visant à décoder
l'image égyptienne, j'ai eu l'opportunité d'envisager la symbolique de la présence de fourrés de papyrus ou de certains détails des scènes de chasse dans les marais, j'aimerais très brièvement avant de nous
quitter en rappeler deux ou trois points qui me semblent essentiels à la compréhension de la décoration de cette boîte à onguents qui, je vous le rappelle, fit partie du mobilier funéraire
d'un défunt.
Le fourré de plantes aquatiques, souvenez-vous, constitue l'image des origines de la civilisation égyptienne, ce Noun qui avait préexisté à toute chose et qui allait donner naissance à la vie, à commencer par celle du démiurge lui-même.
Véritable microcosme de bêtes dangereuses et malfaisantes, mais aussi d'autres parfaitement inoffensives, ces zones marécageuses symbolisaient les régions chtoniennes, c'est-à-dire le monde souterrain avec ses obstacles à écarter dans lequel pénétrait tout trépassé désirant devenir un nouvel Osiris : avant donc de prétendre à une renaissance dans le monde de l'Au-delà, il devait de se donner les moyens de garantir sa régénération. D'où, ces combats entre certains animaux ; d'où la présence ici d'un lion - métaphore à peine voilée de la toute puissance royale !
En outre, il ne faut pas oublier de comprendre la fraîcheur des plantes de papyrus comme une allégorie : celle évidemment de la verdeur physique, de la jeunese éternelle que veut conserver - ou recouvrer - le défunt dans sa vie post mortem.
Vous admettrez donc, amis lecteurs, à la lumière de ces très brèves allusions qu'à nouveau je tenais à préciser, que ce petit coffret de toilette, indépendamment de l'esthétique qui le caractérise et sur laquelle je ne pouvais manquer d'attirer votre attention, doit aussi être envisagé, en tant que partie intégrante d'un mobilier funéraire, au niveau de la symbolique sous-jacente des représentations incisées par l'artiste égyptien.
Et nous retrouvons cette notion chère à feu l'égyptologue belge, le Professeur Roland Tefnin, qui vous est j'espère maintenant bien connue : l'image égyptienne ne se résume pas à un seul sens de lecture.
Ceci posé, il est temps à présent de nous séparer et de nous donner un nouveau rendez-vous, même jour, même heure la semaine prochaine, pour nous pencher sur d'autres objets de toilette que je voudrais vous faire connaître avant que, tous, nous nous égaillions dans la nature - moins hostile que ces fourrés de papyrus, je présume -, de nos vacances respectives.