Dans le beau pays de la Vésubie, en pleine vallée des merveilles - nommée parfois la "petite Suisse niçoise" - vit le dernier oncle que j'ai encore du coté de ma mère. La vie faisant, c'est un homme que j'ai peu fréquenté, jusqu'au jour où je me suis installé dans le sud. Depuis, nous nous voyons plus régulièrement, mais je m'étonne encore à le découvrir, arrivé à 44 ans. Il faut dire aussi qu'on en fait pas le tour rapidement de cet oncle là ! Bernard - c'est son prénom - a la sagesse de ces hommes qui ont été forgés par l'expérience ; il a la patine du vécu, et en a acquis ce charme caractéristique que donne, en toutes circonstances, le sens de la distanciation. Passionné d'histoire, et doté d'un grand sens de l'humour, il a toujours le recul nécessaire sur chaque chose et parvient à me surprendre avec un point de vue original, et souvent ironique, même sur des convictions que je croyais fermement établies. Mais si je vous parle de lui aujourd'hui, c'est plutôt à cause d'un don particulier. Un don qu'il exerce avec un talent tel que cela me fascine, car je n'en ai pas le dixième d'une once ; il a des mains en or. Vous comprenez par là qu'il sait tout faire avec, que rien ne leur résiste, car c'est ainsi que l'on désigne une personne douée de ses mains. Et vous avez raison ; mon oncle s'est rompu le dos à retaper des maisons de la cave au grenier, faire des piscines, à ravaler, bétonner, carreler, peindre... Que sais-je encore, tout les corps de métiers y sont passés, y compris la menuiserie, la plomberie, l'électricité... En bref, il sait tout faire. Il suffit de voir son atelier pour le comprendre ; c'est le temple du bricolage ! Il y a de ces trucs là-dedans que je n'avais jamais vu de ma vie et dont l'utilité me laisse encore perplexe ! Il faut dire que j'ai plutôt des mains en plomb, moi ! Et quel fatras ! Mais mon oncle lui, déambule dans son atelier avec toute la grâce d'une bourgeoise dans son boudoir, tandis que je me contorsionne dans tous les sens, comme un apprenti yogi qui s'emmêlerait les pinceaux, pour éviter de faire tomber un outil ! Et, bien sûr, il est incollable ; il peut vous sortir l'historique de chaque clef, boulon ou vis, comme s'il l'avait acheté la veille. Il sait tout sur tout. A chaque fois, je suis sidéré...
Mon oncle Bernard, un homme formidable !
A la retraite maintenant, il passe la plupart de son temps à mettre son savoir-faire au service de ses proches. Il va ici construire un barbecue en briques, là-bas pour poser une chape... Il est très sollicité. Normal, c'est un homme généreux qui a le sens du partage et qui n'aime pas dire non. Mais il a su tout de même préserver son petit jardin secret ; sa passion pour la mécanique et, plus particulièrement, pour les vieilles Citroën... Et c'est là que l'on voit toute l'étendue de son talent, l'incroyable intelligence de ses mains. Il est capable de vous dégotter - Dieu seul sait où ! - une carcasse délabrée, cramée par la rouille, tout juste bonne à être confiée aux bons soins d'un broyeur, comme celle-ci...
Reconnaissez-vous une traction Citroën 11b de 1952 ? Moi, tout juste je récupère le pare-brise !
...puis il va s'activer dessus avec une dextérité, une minutie et un sens du détail - historique, attention ! - qui forcent l'admiration pour, littéralement, la ressusciter ! Le résultat est confondant...
La même, un peu plus d'un an après !
Bien sûr, l'engin est en parfait état de marche. Et la sensation est incroyable. Il suffit de s'installer à l'intérieur, très spacieux, et d'écouter le moteur démarrer pour remonter le temps. Elle vibre dans tous les sens, peine dans les pentes, fait parfois des bruits bizarres, mais si vous pouviez nous voir, lorsqu'on descend au village avec cette belle Citroën. On en fait des tours et des détours, salués par la populace ! C'est toujours un privilège, un moment d'exception plein de joie et de rires, que toute la famille passe avec mon oncle, qui a parfois du mal à dissimuler sa fierté, pourtant légitime.
Une des premières réalisations de mon oncle, une autre Citroën 11b, de 1953 celle-là.
Vous imaginez bien que les sorties de ces magnifiques tractions sont guettées et, mieux encore, elles participent désormais aux évènements familiaux de la région, comme les mariages, auxquels elles apportent leur petit cachet particulier. Parfois, les mariés jouent le jeu et s'habillent en costumes d'époque ! Et il ne serait pas étonnant que les Citroën de la Vésubie fassent du cinéma ! En attendant, mon oncle a rejoint un groupe de "tractionnistes" qui organisent de nombreux rallyes, aux Alpes notamment. Ils ont leur site internet "Le club 2CV Le Volant de Fer" sur lequel vous trouverez les diaporamas de leurs randonnées ou de la restauration, pas à pas, de leurs vieux modèles. C'est à voir pour prendre pleinement conscience du travail réalisé !
Et puis, cela vous permettra de faire un peu plus connaissance avec un homme qui a aussi... un coeur en or !
Quelques liens à découvrir :
- La Traction universelle
- MotorLegend.com
- Le club des anciennes automobiles varoises