Cet homme a traversé le siècle et le monde. Né en 1914 dans un petit village de Corrèze, Pierre Ceyrac a 23 ans et ne connaît rien de la vie lorsqu'il quitte la France, pensant ne plus jamais y revenir, pour devenir prêtre jésuite en Inde. Il y vit toujours aujourd'hui, au sud du pays, à Madras. Son frère aîné François fut président du CNPF ; son cadet, Charles, député et président du Conseil général de Corrèze ; lui a dédié sa vie au service des pauvres...
Il est l'un des derniers grands missionnaires jésuites, héritier d'une tradition et d'une histoire commencée au XVIe siècle avec saint François Xavier. Parachuté dans un pays gouverné par les Anglais et les maharajahs, il a été de tous les combats en Inde : la modernisation du pays après l'indépendance, sous l'impulsion de Nehru, les conquêtes sociales de ceux qu'on appelle les intouchables, les "dalits"... A son arrivée à Chennai, en 1937, il apprendra le tamoul et le sanskrit. En 1945, il est ordonné prêtre et est chargé de l’association des étudiants catholiques de l’Inde.
Pendant des décennies, il a sillonné ce pays à moto, en voiture, en train. Il a connu toutes les grandes figures de l'Inde, Gandhi, Nehru, Mère Teresa. Il a bâti des routes, des dispensaires, des centres sociaux, des villages. Plusieurs centres d'accueil pour enfants (plus de 25 000 enfants) portent son nom, "Father Ceyrac". Il a passé près de quinze ans dans les camps de réfugiés cambodgiens, le long de la frontière de la Thaïlande. Des bidonvilles de Madras aux salons européens, si on lui demande ce qu'il fait, il répond toujours : "Rien, j'aide, c'est tout." Ou : "On ne passe jamais deux fois le chemin de la vie." Et il repart...
Pour faire face au problème de l’eau dans les campagnes, le Père Ceyrac lance l’opération "mille puits" dans le Sud de l’Inde, début du projet " LEVE TOI ET MARCHE ". Et comme pour démontrer que "là où l’intelligence n’a pas accès, l’amour seul peut donner la clé", Ceyrac et ses amis construisent une ferme modèle sur un terrain extrêmement aride et relèvent l’incroyable défit d’y faire pousser des cocotiers. Ce désert fertile situé à Manamadurai (au sud de Madurai) fera vivre plus de 250 000 personnes et deviendra la meilleure ferme productrice de goyaves de la région. A l’instar de mère Térésa avec laquelle il a travaillé, Pierre Ceyrac donne sans limites. Aimer, dit-il, c’est se donner aux autres avec grand respect jusqu’à leur offrir sa vie. « C’est aussi savoir être tendre. Plus celui que l’on aime est pauvre, plus il faut lui donner de la tendresse. Enfin pour aimer il faut toujours penser " nous " et jamais " eux " : il faut savoir faire confiance et " responsabiliser jusqu’au bout ".
Aujourd’hui, la région de Madras est jalonnée de «Ceyrac hospitals » (hôpitaux), de « Ceyrac children homes» (foyers). En son honneur, quelques enfants portent le nom de Ceyracuti («Petit Ceyrac» en langue tamoul). « J'ai 30 000 à 50 000 enfants, tente-t-il de dénombrer. Je m'occupe des intouchables (la « lie » de la société Indienne), des enfants atteints de poliomyélite".
« On dit qu'en inde, il y a 300 millions de pauvres. Mais on confond tout ! La pauvreté peut être très grande, très belle. C'est la misère qui est à craindre, parce qu'elle enlève toute dignité. » Ce que combat le P. Ceyrac, c'est bien sûr la misère. Mais il le fait à sa manière, en se « promenant », au gré de rencontres étonnantes qui peuplent sa mémoire. Chaque fois, il se dit « plus jamais ça », met la main à la poche et se lance dans un nouveau projet, pour lequel il n'a pas le premier sou. « Je suis souvent bouleversé par une colère », admet-il.
Prêtre, jésuite missionnaire, bâtisseur, le Père Ceyrac aura été un homme d’action et un homme de rêve accompli. Il disait fort justement : « Il faut rêver des rêves. Les grands hommes sont ceux qui ont des visions et des rêves. Ensuite, il faut l'amour pour transformer ces rêves et les faire vivre».