Des milliards de tapis de cheveux – Andreas Esbach

Par Livraire @livraire

Titre original : Die Haarteppichknüpfer
Traduit de l’allemand par Claire Duval

L'Atalante

Quatrième de couverture (édition J’ai Lu) :
Quelque part aux confins de l’empire se niche une petite planète que seule une curieuse coutume distingue de ses consœurs : depuis des temps immémoriaux, les hommes, tisseurs de père en fils, y fabriquent des tapis de cheveux destinés à orner le palais des étoiles de l’empereur.
Pourtant, certains, tel cet homme au passé nébuleux qui prétend venir d’une lointaine planète, racontent que l’empereur n’est plus. Qu’il aurait été tué par des rebelles.
Mais alors, à quoi -ou à qui- peuvent donc servir ces tapis ?

Mon avis :
Des milliards de tapis de cheveux
est le premier roman d’Andreas Esbach qui l’a fait découvrir lors de sa parution en Allemagne, en 1995. La première édition française est parue en 1999 chez L’Atalante.
La forme est assez inhabituelle, l’histoire se décomposant en dix-sept chapitres indépendant qui peuvent se lire comme autant de nouvelles. Certains personnages se retrouvent dans plusieurs chapitres, et l’explication de l’origine des tapis de cheveux  -et d’un certain nombre d’autres énigmes- est donnée tout à la fin. Il faut accepter de ne pas tout saisir d’emblée et naviguer au fil de la lecture. Les chapitres sont écrits en suivant le point de vue d’un personnage différent à chaque fois, donnant au récit la complexité et la richesse d’une polyphonie, les caractères et les contextes étant extrêmement variés.

Tous n’auront donc pas le même impact sur le lecteur, suivant ses goûts et sa sensibilité. A mon sens, le chapitre 14, intitulé Le Palais des Larmes est sans doute le plus beau, d’une cruauté lyrique et pourtant sans appel, résumant à lui seul la virtuosité de l’écriture d’Esbach (traduite d’une main de maître). Impossible de citer les deux derniers et terribles paragraphes, les plus révélateurs du style de l’auteur, sans gâcher irrémédiablement le plaisir de la lecture.

Les fenêtres offrent à la vue une image toujours identique : une plaine d’un gris uniforme qui, quelque part au loin, se confond avec le ciel d’un gris tout aussi uniforme. Et la nuit le ciel est noir, d’un obscurité infinie, qu’aucune étoile ne vient éclairer. Il ne se passe rien dehors, rien ne change jamais.
Le souverain espère souvent devenir fou, et il se demande souvent s’il ne l’est pas déjà. Mais il sent qu’il n’en est rien, qu’il n’en sera jamais rien.

J'ai Lu

De temps en temps, une pierre tombe quelque part, et, des jours durant, le souverain savoure ce bruit surgit du silence, il se le remémore sans cesse pour s’en imprégner avec délectation, car c’est là toute la distraction à laquelle il peut prétendre.

Chapitre XIV – Le Palais des Larmes p.236 (J’ai Lu)

Le chapitre 12, Le Rebelle et l’Empereur, est également terrible, pour des raisons autrement différentes mais qui dans le contexte actuel suscite d’autant plus de questions sur la tyrannie d’un système de pensée unique, totalitaire et efficacement relayé par les organisations adéquates.

À lui seul, le discernement ne résiste pas au temps : il se transforme et disparaît. La honte, en revanche, est comme une blessure que l’on ne laisse jamais respirer et qui, de ce fait, ne guérit jamais. Il tiendrait sa promesse et garderait le silence, mais non par discernement. Par honte. il garderait le silence à cause de ce seul instant : l’instant où il avait obéi à l’Empereur…

Chapitre XI – Le Rebelle et l’Empereur p. 211 (J’ai Lu)

A la manière d’une enquête à rebours, on apprend comment l’Empereur est tombé, tué par les rebelles ; comment fonctionne l’Empire, ou plus exactement, comment il fonctionnait  dans le système de Gheera.

Un livre bluffant, un de plus où on se dit que les distinctions de littérature s »blanche », « mauvais genres » ou « littératures de l’Imaginaire » n’ont, dans le fond aucune bonne raison d’être. Il y a la Littérature, celle qui soulève le cœur, qui empêche de dormir,  qui fait écho à des questionnements, qui suscite les passions et qui reste, des années après, inoubliables, même si les premiers émois de lecture ne parviennent pas à être ressuscités. Tout ce qui reste est objet de consommation, plus ou moins durable, agréable et périssable. La première est Verbe (ce qui n’exclut pas, pour moi du moins, l’humour ou la légèreté), le reste est bavardage.


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