Ainsi donc, le président Obama a limogé le Gal Mc Chrystal, pour des propos rapportés par un article du magazine "Rolling Stone".
1/ On ne sait pas si ces propos ont été "volés" ou s'il s'agit d'un dessein du général. Ce ne serait pas la première fois qu'un militaire de haut rang se ferait piéger par un journaliste. Étant donné les enjeux, mais aussi la tonalité des critiques (de vraies moqueries envers la hiérarchie politique) le président Obama ne pouvait que démettre le commandant des troupes américaines en Afghanistan. Deux interprétations sont possibles :
- A l"appui de la maladresse : le côté "moine soldat" de Mc Chrystal, totalement investi dans sa mission, et n'ayant vu sa femme qu'un mois par an depuis sept ans : bref, n'ayant plus conscience des réalités du monde (médiatique) contemporain.
- A l'appui du machiavélisme : il semblerait que les conseillers de Mc Chrystal aient relu l'article de RS. Soit ils n'y ont vu que du feu, soit il s'agissait d'une volonté. Celle de trouver un prétexte pour partir ? cela supposerait qu'il ne croit pas à la réussite de son action : je n'y crois pas.
- Personne ne peut se prononcer là-dessus aujourd'hui.
2/ Le général Mc Chrystal était totalement investi dans sa mission. On a découvert qu'il avait été choisi sans avoir rencontré le président, et on avait pu noter à plusieurs reprises que le courant ne passait pas : comme si le responsable politique et la stratège n'étaient pas sur la même longueur d'onde. Je crois que c'est ce point là qui est surtout sanctionné aujourd'hui. Et de ce point de vue, les torts sont partagés entre Washington et le commandement de Kaboul.
3/ Il reste que la stratégie Mc Chrystal ne sera pas remise en cause, car c'est la seule qui puisse fonctionner. Elle s'appuie sur deux piliers : d'une part, l'afghanisation comme symbole d'une approche globale ; d'autre part, l'extension du domaine de la lutte au Pakistan (cf. la création sémantique de l'AfPAk qui est le grand succès programmatique de la campagne de B. Obama). Et quoi qu'on en dise, l'un comme l'autre axe donnent des succès : plus marqués du côté du Pakistan, mais pas si mauvais du côté des coalitions.
4/ Se pose alors la question du sort de la guerre : lors du débat organisé sur France 24, les trois autres débattants étaient convaincus de la défaite. J'ai été (peut-être pas de façon assez affirmative, mais c'est la rançon de la nuance) le seul à penser que ce n'était pas forcément cuit. Tout d'abord car, ainsi que je l'expose, je ne sais pas ce que c'est que gagner une guerre irrégulière. Et que de même qu'en 2006, quand tout le monde (côté otanien) manifestait une confiance très assurée alors que j'émettais déjà des doutes (à l'encontre de l'opinion courante), je suis un des rares depuis quelques mois (et les lecteurs de ce blog peuvent en témoigner) à expliquer que "ce n'est pas perdu" (voir ici et ici, déjà sur FR 24 d'ailleurs, enfin ici dès octobre dernier).
5/ Je crois qu'il ne faut pas décrier l'offensive de Marjah, que le décalage de celle de Kandahar peut s'expliquer par des raisons techniques, qu'enfin l'augmentation des morts de la coalition n'est pas le signe d'une défaite, mais peut-être celui d'un engagement plus précis de l'adversaire. Bref, me reprocher comme certains l'ont fait en coupant une phrase du reportage où je répète, en faisant la moue et avec un ton dubitatif, la parole prononcée par un des précédents intervenants ("nous tous autour de cette table savons que la guerre est perdue") et où j'apporte immédiatement des arguments opposés, ce reproche donc me paraît contraire au sens général de mon propos. Autrement dit et plus simplement : nos troupes ne combattent pas là pour rien.
6/ Qu'en revanche la rengaine publique sur "la guerre est perdue" constitue, à coup sûr, l'argument d'une prophétie autoréalisatrice, cela me semble évident. Je le répète : je ne sais pas ce que c'est que gagner une guerre irrégulière.Par voie de conséquence, je ne sais pas ce que c'est que la perdre. Mais ce que nous faisons là-bas n'est pas inutile. Il y faudra du temps et de la volonté. Mais les rebellions ne gagnent pas à tous les coups : allez voir en Colombie ou au Sri Lanka...
7/ A propos de la nomination de Petraeus : Changement dans la continuité, car Petraeus est le père spirituel de Mc Chrystal. Difficulté puisque Petraeus commande AFCENT, l'EM qui est au-dessus de l'EM US en Afghanistan (il redescend donc d'un échelon, mais B. Obama pouvait-il faire autrement?) ;enfin, il y a une vraie relation de confiance entre Petraeus et le président : l'unité de direction stratégique semble donc assurée, ce qui est incontestablement un mieux pour l'avenir de ce conflit.
Réf :
- voici le débat auquel j'ai participé mercredi soir sur France 24, avec G. Challiand, P. Conesa et P. Golub
- 1ère partie
- 2ème partie
O. Kempf