Quand une société se détourne des valeurs et des traditions fondatrices de sa civilisation, elle ne peut être que proie facile à la merci des tentations acculturatrices et parfois négatrices des tiennes.
Faut-il fouiller dans le secret de nos silencieux cimetières, pour faire témoigner nos ancêtres morts dans la dignité ou faire l’inventaire de nos valeurs en perdition au détriment de celles des autres, pour éveiller la conscience d’une jeunesse peule tournée vers le mimisme ravageur ?
Curieuse métamorphose d’une société jadis pétrie dans les valeurs telles la modestie, la générosité, le partage, le respect, la bravoure, l’authenticité, la dignité et de la fierté, qui se retrouve aujourd’hui, prisonnière du symbolisme du paraître, de l’individualisme et que sais-je encore ?
Abandonné dans les confidences des merveilleuses nuits de mon Fuuta natal, je marchais silencieux, le cœur lourd d’émotion, pas à pas je sentais le parfum de mon enfance, tout en étant étranger sur cette terre devenue méconnaissable à travers mes yeux rivaient sur un passé peul riche de conquêtes et de glorieuses victoires.
Dans ma longue marche, je revoyais cette belle nature verdoyante, parsemées des lacs et des rivières, devenue un immense lit d’argile, qui écoute gravement se rapprocher les échos des vents du désert. La traversée des ruines des forêts de Gouloumbol, de Yéro Mouggué, de Thieweelé, de Seppi et tant d’autres, me laissa perplexe face à cette aridité accentuée par une déforestation sauvage.
Aucune trace de ces arbres mythiques, ce patrimoine végétal, qui faisait, jadis, la fierté de tout futanke appartient désormais à l’histoire. Où sont les Barkeeje, Gorgorlaaje, Banting ngeeje, Badde, Koyle, Jammuule, yibbe, Boɓoreeje, Duballeeje, Gankuule, Casɗe, Ciluɗe, Gawduule, kelle, ɓukkuule, nammadeeje, etc.
Je scrutais le ciel avec une oreille suspendue en vain à la surprise des beaux chants des Boolumbe ou de la merveilleuse symphonie de Lori, peut-être resté fixé sur les branches du géant figuier surplombant la rive et dont les feuillages viennent caresser le mythique Bilbassi.
A la tombée de la nuit, je rejoins la place du village, assis à même le sol, cerné par un sable fin, parfumé des odeurs de la dernière crue, autrefois, lieu de loisirs, d’extase, d’échange, là où se forgeait le destin d’une jeunesse assoiffée d’apprendre et de transmettre ces valeurs et ces traditions ancestrales. Entre un Nddukum révélateur et des Cifti éducateurs, des Tin-ndi moralisateurs, on s’adonnait tantôt un Tuku Mukooru et tantôt à des récits de chasse pour développer la bravoure et la dignité.
Je me posais perpétuellement la question suivante : Que reste-il de nos rituels de mariage, entre Lin- ngi , Bisgal, Lootgol, Guppuli, Gosi jombaajo ?
Par nostalgie, j’entendais fictivement des échos des bawɗi jamma, annonçant les veillées de lutte et je ne pus m’empêcher de penser à ces héros des arènes de Fuuta tels les regretés Diouggal Diaw, Moussa Mbaroodi, Racine Kelly, Hamidou Kanel, Demba Sadio Sy (Tuuba Njam-ndi), Diallo Mamadou Moussa de Djeol, Hamidou Keekutel, Aadama Ba de Ganki et tant d’autres.
Bercé par un léger vent de montagne, qui caressait les vagues du fleuve et assis sur les hauteurs de la falaise argileuse, je déshabillais la profondeur des eaux, en pensant au célèbre poète de Pekane Guelaye Ali FalL, décrivant héroïquement des combats légendaires. Où sont les héritiers de ces icônes de la musique peule de Samba Diop Leele à Ablaye Ceenel Fall en passant par les sublimes Samba Toroodo et Oumar Gafo Sanghott ?
La verve de Leelé, le sacre de Kerooɗe, le mystère de Pekane, la profondeur de Jaanisa et l’authenticité de Dilleré constituent une force du patrimoine musical peul.
En remontant dans les terre, j’apercevais ce diéri et ses parcelles de nambeeli, là où j’ai appris à différencier dené et pirndille ainsi qu’à cueillir des fruits tels Jaaɓuule, Yakameeje, Ndaayri et boire l’eau de Sor Baddi.
Je conclus qu’il n’est pas interdit de s’ouvrir aux autres et de se projeter dans l’avenir, pourvu qu’on soit solidement assis sur son héritage culturel et traditionnel.
Laisser périr nos traditions et nos valeurs est une forme de reniement à notre propore histoire, il est de devoir de chacun d’entre nous de transmettre et même d’écrire les richesses de notre patrimoine afin de le confier au panthéon de la postérité peule.
Oumar Moussa N’DIAYE