Le temps des reprises

Par Borokoff

A propos de Gloria de John Cassavetes 3 out of 5 stars

Années 1980. Dans un quartier portoricain de New-York, la mafia italienne débarque chez leur comptable, reconnu coupable d’être un indic pour le F.B.I. Le comptable, sachant que ses jours sont comptés, confie en catastrophe son fils Phil et un compromettant livre de comptes à sa voisine Gloria Swenson, une ex-call girl de la mafia italienne…

Dans Gloria, tout tourne autour de l’énergie et de la quête effrénée d’une femme lucide et intelligente qui se bat seule contre un « système ». Et qui sait l’issue du combat désespérée. Cela ne l’empêche pas de buter à tout va des hommes de la pègre. Au contraire, la traque dont elle fait l’objet décuple son énergie et la haine qu’elle a contre les « minables » qui veulent tuer un enfant.

Qui est Gloria ? A la différence des hommes qui la pourchassent et dont l’absence totale de conscience effraye, Gloria est une femme qui a des valeurs et se sent responsable voire garante, malgré son peu d’instinct maternel, de la survie de l’enfant. Il faut voir la vindicte avec lequel elle agresse les mafieux, les insultes qu’elle leur profère au visage. La nervosité et la tension de la mise en scène renforcent la haine qui déforme ses traits et son visage. Gloria est une femme à la fois élégante et triviale. Courageuse surtout. Gloria se sait sacrifiée mais elle a donné sa parole à la mère de Phil qu’elle veillerait sur lui. Elle ne peut accepter qu’on tue un enfant. C’est injuste. Gloria a un code d’honneur et une sens de la loyauté auxquels un Parrain, qui discute avec elle à la fin du film, ne comprend rien, pourri et lâche comme il est.

Gloria est un double portrait qui s’inscrit dans un film construit comme un vrai « polar » ou un film de genre qui serait le thriller et un film à suspense. On parle beaucoup du personnage de Gloria (sublime Gena Rowlands), parce qu’il omniprésent et central dans le film, mais la direction d’acteurs et le jeu de l’enfant (John Adames, tout en tension et en raideur) sont aussi remarquables.

Juste avant de mourir, son père l’avait prévenu qu’il allait devenir le nouveau chef de famille. Pour ne pas perdre les pédales, Phil affirme sa nouvelle position de patriarche, mais endosse un costume beaucoup trop grand pour lui. La manière avec laquelle il affirme sa virilité devant Gloria, lui hurlant : « I am the man ! I am the man ! » après la mort de sa famille, est un morceau de bravoure et l’un des passages les plus poignants du film. Comme celui où il s’attache à elle dans la rue et la serre sans pouvoir relâcher son étreinte. N’oublions pas que c’est un enfant.  « Tu es ma mère, tu es ma sœur, tu es ma copine, tu es même ma petite copine » ose-t-il lui dire un soir après lui avoir demandé si elle était amoureuse de lui…

Mais derrière ce double portrait se cache aussi une charge virulente contre la lâcheté de la mafia. L’absence totale de scrupules et de remords dont ils font part dans leurs actes et leurs meurtres tranche avec l’amour et la tendresse, universels,qui existent entre Gloria et l’enfant. Sous la caméra de Cassavetes, les mafieux ont des allures comiques et des traits grotesques. L’inhumanité de la mafia dans Gloria rappelle étrangement celle décrite dans Gomorra. Faisant du film, trente ans après avoir été tourné, une oeuvre étonnante d’actualité.

www.youtube.com/watch?v=8NImDlin6hE