Sa trilogie de la vengeance achevée, Park Chan-Wook avait le champ libre pour aller explorer d'autres univers. De la part d'un réalisateur adepte de la surenchère (ses films sont toujours construits sur ce principe, que cela se justifie ou non), on pouvait attendre une envie d'aller plus loin (si possible) dans la noirceur et le sordide. Grossière erreur de jugement : contredisant un titre français très réducteur, Je suis un cyborg a des allures de comédie romantique, un rêve doux et cotonneux (pour ne pas dire capitonné) jouant la carte de la rupture.
Bienvenue donc à l'hôpital psychiatrique, où se croise des êtres fatigués ressemblant étrangement aux héros blessés de Old boy et Lady vengeance, la rage en moins. Le jeune héroïne du film se prend pour un cyborg, mais c'est OK, comme l'affirme le titre anglais. Pleinement satisfaite de son statut de machine, elle refuse de s'alimenter comme les humains, lèche des piles pour recharger ses batteries, et rêve qu'elle a des canons sciés au bout des doigts. Sa rencontre avec un type aussi cintré qu'elle (il est persuadé qu'il peut voler les qualités des gens rien qu'en leur empruntant un objet) va bientôt donner lieu à une romance aussi improbable qu'originale. On n'ira pas beaucoup plus loin : étonnamment, Park Chan-Wook se contente de ce traitement fleur bleue et gentiment déjanté, là où on aurait pu atteindre des sommets de poésie. De plus, la naïveté assumée de cet univers finit par donner des boutons, un peu à la manière de ces gens qui vous sourient pour un rien, persuadés de répandre le bonheur autour d'eux alors que cet éternel air béat est plus agaçant qu'autre chose. Par moments, cependant, l'histoire prend réellement son essor et donne lieu à quelques séquences assez touchantes, comme celle où le jeune home, entrant dans le jeu de son amoureuse, fait semblant de réparer ses circuits. Je suis un cyborg manque malheureusement de souffle dans l'enchaînement des situations.
C'est en revanche dans sa direction artistique que Je suis un cyborg convainc sans retenue. La mise en scène de PCW est des plus inspirée, s'appuyant sur une photographie magnifique et un joli travail sur les décors. L'hôpital psychiatrique ressemble à un hôpital psychiatrique, pas à une cuisine Mobalpa ; pourtant, l'utilisation de couleurs pastel et/ou flashy (notamment le rose) accentue le côté rêve de gosse du film. Cet univers visuel sans faille est un enchantement, tout le reste n'étant malheureusement pas à l'unisson. Mais l'espoir fait vivre : en se trouvant un script vraiment béton, PCW pourrait bien nous surprendre dans les années à venir.
5/10