La mutation de la presse est inéluctable. Pas une semaine ne passe sans qu’elle n’entraîne des mouvements dont la lisibilité est plus ou moins immédiate (voir en ce moment le rachat du Monde). La fausse question autour de laquelle se fonde les conversations depuis des années est : la presse écrite est-elle vouée à la disparition, au moins dans son format papier ? Il me semble que la vraie question est enfouie alors qu’elle devrait vivre dans le radar de tous les observateurs de nos métiers : comment les marques média vont-elle réussir le pari de créer de la valeur dans un univers ou la volatilité est désormais de mise ?
Car c’est bien le paradoxe auquel est confrontée la presse. Qu’elle ne soit plus disponible dans ses formats papier à court ou moyen terme est finalement davantage un problème pour les NMPP ou Relais H (qui appartient à Hachette il est vrai) que pour les éditeurs qui ne peuvent y voir que des économies substancielles d’impression et de distribution. L’accès via le net sur des terminaux mobiles (tel iPad) est donc bien une opportunité de premier ordre pour rationaliser le business model des titres aujourd’hui disponibles dans nos kiosques. Mais dans son accès via le net, elle doit faire face à l’ingratitude des internautes, volatiles et reproduisant peu l’attachement à leurs journaux préférés, préférant confier à Google News les clés d’entrée vers les informations en fonction de leur recherche.
Il s’agit donc bien de recréer de l’attachement aux marques médias dans des univers digitaux très opportunistes. Et continuer demain, avec une présence potentiellement limitée dans la vie réelle, à exister dans ce que la marque média doit apporter : une identité forte, une clé et un contrat de lecture très lisibles, une crédibilité inébranlable, un lien avec une rédaction, une confiance réciproque… Pour ça, la presse dispose d’une force de frappe sur laquelle les autres marque ne peuvent pas s’appuyer : le produit (de l’information issue d’un travail de journalistes très incarnés pour les lecteurs) est une machine identitaire qui nourrit la marque à chaque publication. Cet avantage ne peut être considéré comme se suffisant à lui-même dès lors que le business de demain se construira de moins en moins sur la valorisation d’un nombre et d’une typologie de lecteurs pour attirer les annonceurs.
La marque média de demain bénéficiera du contenu de sa production mais aussi de ses activités (conférences - tel Les Echos conférences, formations, événements, partenariats…) pour la mettre au service de business nouveaux et lucratifs sur mobile ou avec d’autres marques par exemple. La valeur de la marque média se monnaiera au delà même de son support central : racheter Le Monde est sans doute acheter une marque, pas une manne publicitaire pérenne. Peut-être même jusqu’à survivre à son journal ou magazine d’origine (voir l’ex masculin Max).
Les cas d’école marketing digitaux de demain se trouveront probablement parmi ceux de ces médias qui auront investi au bon endroit et au bon moment sur des stratégies de marque digne de ce nom. A ce stade, les journalistes, passés maître dans l’art du Personal branding, semblent l’avoir compris mieux que les éditeurs mais tout n’est pas perdu.
Demain on se parle de télé ?
Photo : Melle Tam