Absence, à l’heure actuelle, d’un droit au mariage et d’un droit à un statut équivalent pour les couples de même sexe
par Nicolas Hervieu
La Cour européenne des droits de l’homme a rendu un important arrêt au sujet d’une question de société pour le moins brûlante, celle du droit au mariage des couples de même sexe et, à défaut, du droit de ces derniers à obtenir un statut juridique équivalent. Si la réponse strasbourgeoise est doublement négative dans son dispositif, des apports et avancées non négligeables sont présents dans les motifs de cet arrêt qui tâche surtout - et ostensiblement - de laisser la porte ouverte à des évolutions futures. En l’espèce, deux hommes, ressortissants autrichiens et en couple, avaient sollicité, sans succès, l’autorisation de se marier. La décision des autorités, confirmée ensuite par les juridictions autrichiennes dont la Cour constitutionnelle, était fondée sur une définition classique du mariage réservant cette union aux seuls couples composés d’un homme et d’une femme.
A titre préliminaire, la Cour commence par refuser de rayer la présente affaire du rôle. En effet, elle juge, contrairement à l’argumentation du gouvernement autrichien, que l’entrée en vigueur en Autriche le 1er janvier 2010 d’un régime de partenariat pour les couples de même sexe (« The Registered Partnership Act » - § 16-23) n’a pas résolu le litige (Art. 37.1 b) car si ce régime offre “aux couples de même sexe […] un statut similaire ou comparable au mariage, [… il] ne leur accorde pas un accès au mariage” lui-même (§ 37).
L’examen au fond étant ainsi ouvert, les juges européens ont du traiter successivement deux griefs distincts de violation soulevés par la requête. Mais l’on peut d’ores et déjà constater, sans que cela ne soit une surprise, que l’enjeu de cette affaire dépasse de beaucoup le simple conflit de l’espèce, comme en témoignent d’ailleurs les tierces-interventions du gouvernement britannique d’une part, et de quatre organisations non-gouvernementales d’autre part (§ 45-48 ; § 81-86 et v. § 5).
1°/- Le refus de consacrer, à ce jour, le droit au mariage pour les couples de même sexe
Le premier terrain contentieux, celui de l’article 12 (droit au mariage), permet à la Cour d’aborder frontalement la question très débattue de l’existence d’un droit au mariage au profit des couples de même sexe. Ce point est crucial car, outre bien sûr sa nature controversée, une telle question est inédite à Strasbourg, les juges européens soulignant qu’”il n’y avait pas encore eu une opportunité d’examiner si deux personnes de même sexe peuvent prétendre au droit au mariage“ (§ 50), même si la jurisprudence de la Cour est, à l’inverse, extrêmement développée s’agissant des droits des transsexuels (§ 51-53 - V. en particulier Cour EDH, G.C. 11 juillet 2002, Christine Goodwin c. Royaume-Uni, Req. n° 28957/95 ; mais aussi deux décisions d’irrecevabilité plus récentes : Cour EDH, 4e Sect. Dec. 28 novembre 2006, Parry c. Royaume-Uni, Req. n° 42971/05 et R. and F. c. Royaume-Uni, Req. n° 35748/05). Or, précisément, la Cour s’attache ici à circonscrire la portée de certaines solutions rendues dans le contentieux du transsexualisme et à désamorcer quelque peu les virtualités favorables au droit au mariage des couples de même sexe que nombre d’observateurs avaient pu déceler, en particulier de l’arrêt Goodwin. Au terme d’une première interprétation de l’article 12, la Cour relève tout d’abord que dans le “contexte historique dans lequel la Convention fut adoptée [i.e. les années 1950] […] le mariage était clairement compris dans le sens traditionnel d’une union entre partenaires de sexes différents” (§ 55). L’analyse littérale de l’article 12 met également en valeur cette interprétation même si les juges ouvrent une première porte en estimant que “pris isolément, les mots de l’article 12 peuvent être interprétés comme n’excluant pas le mariage entre deux hommes ou deux femmes” (§ 55 : « The Court observes that, looked at in isolation, the wording of Article 12 might be interpreted so as not to exclude the marriage between two men or two women » - V. contra l’opinion concurrente des juges Malinverni et Kovler).
C’est cependant en la méthode d’interprétation évolutive que résidait la plus grande chance de consécration d’un droit au mariage pour les couples de même sexe. Mais la Cour oppose une fin de non-recevoir à ce souhait en considérant que si, une nouvelle fois, “l’institution du mariage a été profondément bouleversée par l’évolution de la société“, “il n’y a pas [selon elle et à la lueur de l’état des lieux dressé auparavant - § 24-34] de consensus européen concernant le mariage des couples de même sexe” car “à ce jour, pas plus de six sur quarante-sept États parties à la Convention autorisent” un tel mariage (§ 58 - « there is no European consensus regarding same-sex marriage. At present no more than six out of forty-seven Convention States allow same sex marriage »). La Cour prend par ailleurs soin de justifier son refus d’exploiter, au bénéfice des couples de même sexe, ce qui semblaient être des brèches ouvertes par l’arrêt Goodwin (préc. § 98). Ni l’absence de connexion entre le droit au mariage et le droit de fonder une famille (§ 56), ni le rejet d’un “critère purement biologique” dans la définition du genre (§ 59) ne sont jugés pertinents s’agissant des couples de même sexe. Pourtant, et presque concomitamment, d’autres brèches sont ouvertes comme autant de pistes d’évolutions dans l’avenir. En effet, à l’aide de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui protège aussi le droit au mariage mais sans faire référence à un homme et une femme (§ 60), la Cour refuse d’interpréter ici “le droit au mariage consacré à l’article 12 comme devant en toutes circonstances être limité au mariage entre deux personnes de sexe opposés“ (§ 61 - « Regard being had to Article 9 of the Charter, therefore, the Court would no longer consider that the right to marry enshrined in Article 12 must in all circumstances be limited to marriage between two persons of the opposite sex »). La juridiction strasbourgeoise fait donc preuve de prudence en tenant compte du fait que “le mariage a de profondes connotations sociales et culturelles qui diffèrent largement d’une société à l’autre” (§ 62) pour estimer qu’aujourd’hui “la question de savoir si l’on doit autoriser le mariage entre personnes de même sexe est laissé à la discrétion” des États parties (§ 61 - « as matters stand, the question whether or not to allow same-sex marriage is left to regulation by the national law of the Contracting State »). Pourtant, l’absence de condamnation de l’Autriche pour violation de l’article 12 (§ 63-64) ne vaut aucunement rejet définitif du droit au mariage pour les couples de même sexe tant la Cour a pris bien soin de souligner que cette décision sera fonction du renforcement d’un consensus européens sur le sujet. L’unanimité des votes sur ce grief est donc bien de façade, deux juges au moins ayant contesté cette porte ouverte vers une évolution (v. l’opinion concurrente des juges Malinverni et Kovler).
Le rejet - direct - du droit au mariage pour les couples de même sexe concorde globalement avec la jurisprudence récente de la Cour qui avait toujours maintenu sa reconnaissance de la place particulière occupée par cette « institution » (V. Cour EDH, G.C. 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni, Req. n° 13378/05, § 63 : « une institution largement reconnue comme conférant un statut particulier à ceux qui s’y engagent » - Actualités Droits-Libertés du 3 mai 2008). Mais nombre d’autres jurisprudences ont révélé l’efficacité d’un instrument plus indirect en faveur du droit homosexuels et en particulier des couples de même sexe : le levier de la non-discrimination (v. ainsi Cour EDH, 4e Section, 2 mars 2010, Kozak c. Pologne, Req. n° 13102/02 - Actualités droits-libertés du 3 mars 2010 et CPDH 4 mars 2010). En l’espèce, néanmoins, cet angle contentieux n’a pas l’effet escompté. Mais, outre qu’elle consacre à cette occasion une progression non négligeable en faveur des couples de même sexe, la Cour tend également à laisser ostensiblement la porte ouverte aux évolutions
2°/- Le refus de consacrer, à ce jour, le droit à un statut équivalent au mariage pour les couples de même sexe
Sur le second terrain contentieux, les requérants se plaignaient d’une discrimination dans la jouissance du droit au respect de leur vie privée et familiale (Art. 14 combiné à l’article 8) au motif que les couples de même sexe ne pouvaient disposer - du moins jusqu’à l’entrée en vigueur en Autriche du « Registered Partnership Act » - d’un statut reconnaissant juridiquement leur relation. Après avoir admis assez souplement la recevabilité de ce grief (v. en particulier § 69) et le maintien de la qualité de victime des requérants malgré le nouveau statut apparu entretemps (§ 74), la Cour européenne des droits de l’homme tranche la question de l’applicabilité des droits précités à l’affaire. Or, à cet égard, s’il ne faisait pas de doute que “la relation unissant un couple de même sexe tel que celui des requérants relève de la notion de ‘vie privée’ au sens de l’article 8“ (§ 90), toute autre était la question de savoir si cette relation relevait également de “la vie familiale“. Car si la Cour a déjà reconnu que cette vie familiale ne se limitait pas aux relations maritales (§ 91 - V. par exemple Cour EDH, 5e Sect. 3 décembre 2009, Zaunegger c. Allemagne, Req. n° 22028/04 - Actualités Droits-Libertés du 5 décembre 2009 et CPDH du 6), elle avait laissé ouverte cette dernière question (§ 92 - Cour EDH, 1e Sect. 24 juillet 2003, Karner c. Autriche, Req. n° 40016/98, § 33). Ici, les juges européens franchissent le pas en s’appuyant sur le fait qu’”un nombre considérable d’États membres ont accordé une reconnaissance légale aux couples de même sexe […et que] certaines dispositions du droit de l’Union européenne reflètent aussi une tendance grandissante à inclure les couples de même sexe dans la notion de ‘famille’” (§ 93). En conséquence, “la relation entre les requérants, un couple de concubins de même sexe vivant dans un partenariat de facto qui est stable, relève de la notion de ‘vie familiale’, tout comme le serait, dans la même situation, la relation existant au sein d’un couple de sexes différents” (§ 94 - « In view of this evolution the Court considers it artificial to maintain the view that, in contrast to a different-sex couple, a same-sex couple cannot enjoy “family life” for the purposes of Article 8. Consequently the relationship of the applicants, a cohabiting same-sex couple living in a stable de facto partnership, falls within the notion of “family life”, just as the relationship of a different-sex couple in the same situation would »).
Une fois passé ce cap, la juridiction strasbourgeoise part également bien du principe, évident, que “les couples de même sexe sont aussi capables que les couples de sexes différents d’entrer dans une relation de concubinage stable“ (§ 99) d’où le constat que les deux types de couples sont placés dans la même situation. Mais elle refuse toutefois de conclure en l’espèce à l’existence d’une discrimination, aussi bien en ce qui concerne le rejet d’un droit au mariage au premier type de couple - ce qui est logique eu égard à la conclusion adoptée précédemment sur le terrain de l’article 12 (§ 101) - que, surtout, s’agissant de “l’absence de reconnaissance juridique [de ces couples] alternative” au mariage (§ 102 - « the lack of alternative legal recognition »). Sur ce point, la Cour cherche à circonscrire sa réponse au cas d’espèce et tâche de ne pas prendre directement position sur l’existence ou non d’une obligation positive pesant sur les États quant à la reconnaissance juridique de ces couples de même sexe (§ 103-104). Pourtant, la solution rendue ici peut être facilement généralisable car le refus de constater une discrimination à ce titre repose sur le constat qu’il existe certes “un consensus européen émergeant au sujet de la reconnaissance juridique des couples de même sexe” mais qu’”il n’y a pas encore une majorité d’États offrant une [telle] reconnaissance“. Ce domaine “doit en conséquence continuer à être regardé comme un de ces droits évolutifs ne faisant pas l’objet d’un consensus et où les États doivent donc jouir d’une marge d’appréciation quant au moment où seront introduites des évolutions législatives” sur cette question (§ 105 - « There is an emerging European consensus towards legal recognition of same-sex couples. Moreover, this tendency has developed rapidly over the past decade. (see Courten, cited above; see also M.W. v. the United Kingdom (dec.), no. 11313/02, 23 June 2009, both relating to the introduction of the Civil Partnership Act in the United Kingdom). Nevertheless, there is not yet a majority of States providing for legal recognition of same-sex couples. The area in question must therefore still be regarded as one of evolving rights with no established consensus, where States must also enjoy a margin of appreciation in the timing of the introduction of legislative changes »). Une marge d’appréciation équivalente est aussi reconnue aux États concernant l’étendue et la portée des droits conférés par ces partenariats vis-à-vis de ceux procédant du mariage (§ 108). Partant, l’Autriche n’est pas non plus condamnée pour violation de l’article 14 combiné à l’article 8 (§ 110) même si, cette fois, la solution a été adoptée à une très faible majorité (quatre voix contre trois - v. l’opinion dissidente des juges Rozakis, Spielmann et Jebens).
A de nombreux points de vue, cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme peut être qualifié d’étape intermédiaire ou de solution transitoire voire préparatoire à une évolution. Certes, ni l’extension du droit au mariage des couples de même sexe, ni même le droit de ces couples à obtenir un statut juridique équivalent n’est ici consacré et placé sous la protection conventionnelle. Une telle solution, sauf surprise et sous réserve que la Grande Chambre ne soit pas saisie par renvoi (Art. 43.1), hypothèque d’ailleurs grandement les chances de succès de la requête déposée par le couple d’hommes dont le mariage célébré à Bègles fut annulé par les juridictions françaises (V. Cour EDH, 5e Sect. intrd. le 6 septembre 2007, Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier c. France, Req. n° 40183/07). Néanmoins, la prudence strasbourgeoise se double d’une ouverture réelle vers une évolution future. L’ensemble du raisonnement de la Cour est ici dépendant du consensus pouvant émerger dans l’espace européen. Or, outre son caractère nécessairement évolutif, ce consensus est, lui-même, largement dépendant de la décision des juges européens qui pourront, lorsqu’ils l’estimeront opportun, constater - d’aucun diront forcer - la formation d’un tel consensus. De ce point de vue, il est possible de remarquer qu’hormis le cas particulier du droit de l’Union européenne, la Cour n’a pas fait référence à des exemples étrangers pourtant cités par les tiers-intervenants (§ 48 - « the four non-governmental organisations referred to judgments from the Constitutional Court of South Africa, the Courts of Appeal of Ontario and British Columbia in Canada, and the Supreme Courts of California, Connecticut, Iowa and Massachusetts in the United States, which had found that denying same-sex couples access to civil marriage was discriminatory »). Mais, le moment venu, gageons que la Cour tirera largement profit de ces éléments pour justifier et étayer le constat d’un consensus ainsi qu’elle le fit par le passé (V. l’arrêt Goodwin, préc. § 84-85) et selon une méthode jurisprudentielles pas dès aujourd’hui tout à fait assumée (V. Cour EDH, G.C. 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, Req. n° 34503/97 - Actualités Droits-Libertés du 14 novembre 2008).
Schalk and Kopf c. Autriche (Cour EDH, 1e Sect. 24 juin 2010, Req. n° 30141/04) En anglais
Actualités droits-libertés du 24 juin 2010 par Nicolas HERVIEU
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