Angus Lembikissa – Le 25 juin 2010. La junte au pouvoir en Guinée Conakry a confirmé la tenue des présidentielles le 27 juin 2010. La campagne électorale a été lancée le lundi 17 mai, la liste des candidats retenus a été rendue publique pourtant, les avis sur la tenue de l’élection au 27 juin restent partagés. Faut-il organiser la présidentielle le plus vite possible même si toutes les conditions ne sont pas encore réunies ou faut-il attendre ?
Pour les défenseurs de la tenue de la présidentielle le 27 juin, il n’est plus question d’attendre longtemps, il faut vite aller aux élections car le peuple veut tourner la page de quarante ans de dictature de Lansana Conté, il veut élire ses dirigeants et a soif de la démocratie. Certains pensent même qu’il faut vite les organiser pour éviter que les militaires actuellement au pouvoir s’y éternisent, ils estiment qu’il faut aller aux élections parce que la situation socio-économique du pays est catastrophique. Les investisseurs étrangers hésitent à investir à cause de l’instabilité politique, les bailleurs de fonds également, ils pensent que seul un gouvernement élu démocratiquement peut garantir leurs investissements. De même, le pays a besoin de l’aide au développement qui est présentement suspendue. La Guinée a également besoin d’une reconnaissance internationale et veut effacer l’image de pays instable.
Mais l’enjeu est-il de vite faire partir les militaires et d’obtenir de la communauté internationale une certaine reconnaissance ? Cela aiderait dans une certaine mesure. Il faut reconnaître que les temps ont changé, les militaires aujourd’hui ne peuvent plus se permettre tout. Cependant, qu’en est-il sur le terrain ? Il semble que la constitution a été révisée, la junte au pouvoir l’a promulguée par décret au lieu du référendum constitutionnel, le recensement a été effectué, la Commission électorale nationale indépendante, mise en place. En apparence, tout est prêt pour aller aux élections à la date indiquée.
Mais, cela suffit-il? Des voix continuent à dire que les conditions ne sont pas encore réunies. Certains ont en effet, critiqué le fait que le peuple n’ait pas été consulté pour l’adoption de la constitution révisée et voient en cet acte un mauvais départ pour la démocratie. D’autres dénoncent le fait que la campagne électorale a été lancée une semaine avant la date fixée par la loi électorale et avant la publication de la liste définitive des candidats retenus. D’autres encore dénoncent l’enclavement des régions comme un élément à prendre en compte. Car, beaucoup des régions sont défavorisées du point de vue notamment du recensement des électeurs, la révision des listes électorales, l’établissement et la distribution des cartes et bulletins d’électeurs, l’acheminement du matériel électoral et même le déploiement de toute la logistique liée à l’élection.
Au fond, la vraie question qu’on peut se poser est celle de savoir si les Guinéens qui ont vécu quarante ans durant dans un système politique monopartite et dictatorial, sont préparés à s’accommoder à la nouvelle donne ?
Les Guinéens doivent prendre la mesure de l’événement pour éviter de tomber dans des violences post-électorales. Des exemples comme celui du Congo Brazzaville devaient attirer leur attention. En effet, le Congo Brazzaville, voulant vite se débarrasser du président en place à l’époque, avait précipité les choses. Le recensement électoral était réalisé avec la plus grande vitesse, les listes électorales publiées mais avec beaucoup de noms d’électeurs absents dans celles-ci, une commission électorale dite indépendante, et pourtant les revendications sur sa neutralité n’ont pas manqué. A cause de l’enclavement des régions, certains matériels électoraux n’ont pas pu être acheminés à temps et beaucoup d’électeurs n’ont pas été recensés, la loi électorale votée n’a pas été respectée par les différentes parties. Pourtant, on ne cessait de dire que les conditions étaient réunies pour aller aux élections. Aujourd’hui en Guinée, la question de la sécurité se pose encore. Tout le monde se rappelle des fusillades de septembre 2009 au stade de Conakry au cours d’un meeting de l’opposition par les militaires. Cette question est-elle réglée et prise en compte dans le processus électoral qui débute le 27 juin prochain ?
Depuis le mois d’avril 2010, des pays comme le Canada appellent les principaux candidats à cette élection au respect du verdict des urnes : est-ce prémonitoire de ce qui risque d’arriver ? Il est important de régler toutes ces questions car, de leur non prise en compte naissent les contestations et au-delà les conflits. La communauté internationale devrait inciter la junte au pouvoir à réunir toutes les conditions afin d’éviter au peuple des conflits fratricides au lendemain de cette élection.
Angus Lembikissa, Institut nationa du patrimoine culturel de Paris