Tribune : le football camerounais, un vaste chantier

Publié le 24 juin 2010 par Atango

Vous le connaissez en d'autres espaces sous le pseudonyme "L'Indomptable". Je suis heureux que ce fin analyste, et néanmoins fervent patriote ait choisi mon modeste blog pour livrer ce regard à la fois lucide et visionnaire sur l'état actuel de notre football, ou de ce qu'il en reste.

I - Le Déclin

Et Bing ! Nous sommes out ! Après seulement deux matchs de coupe du monde. Heureusement pour moi, la désillusion est aussi intense que l’espoir que j’avais placé en cette cuvée 2010 des Lions Indomptables, c’est-a-dire très peu, sinon nul, surtout après l’enchainement des contreperformances en matchs amicaux.

Il ne sert à rien de se rouler par terre et pleurer toutes les larmes de son corps. Il ne sert à rien d’indexer les prétendus responsables. Car nous sommes TOUS coupables : le sélectionneur, les joueurs, la Fecafoot, le Minsep, les supporters (assia Ngando Picket !), le Jabulani, les Vuvuzelas (pour certains)… Pleurnicher ne servira donc a rien. Si ce n’est à masquer les vrais problèmes de l’équipe fanion du Cameroun et du football camerounais en général.

Pour ce papier, je m’appuie sur les résultats/résolutions d’une discussion tenue avec un groupe d’amis il y a trois ans et dont copie avait été remise à Monsieur Mohammed Iya. La  discussion, axée autour des problèmes qui minent le football, avait alors servi a formulé des solutions pour l’en sortir. L’actualité brûlante d’une élimination prévisible au premier tour de la première coupe du monde en terre africaine relance inexorablement le débat. Les signes annonciateurs de cette débâcle sont à rechercher dans l’évolution qu’a connue le football camerounais ou plus précisément son mode de gestion.

Samuel Mbappé Leppé, "Le Maréchal", une icône des Temps Légendaires du football camerounais

Comme beaucoup de supporters des Lions Indomptables de par le monde, j’assiste impuissant au déclin de l’image du football camerounais tant sur le plan national qu’international. Pourtant, au commencement, ce pays béni fait montre d’une évolution encourageante. En effet, les années 50-60 représentent la période de balbutiement. La Fecafoot voit le jour et devient une filiale de la Fifa puis de la Caf. Les clubs camerounais, à l’instar de l’Oryx Club de Douala, font tout de même une percée plus que remarquable sur la scène africaine. L’Etat est alors le principal bailleur de fonds du football camerounais.

Les années 70-90 voient le football camerounais atteindre les hauts sommets sur le plan international. Le championnat national (toutes divisions confondues) est relativement bien organisé. L’on enregistre le succès des clubs camerounais sur le plan continental (Union, Canon et Tonnerre notamment) et le rayonnement des Lions Indomptables seniors sur les plans africain et mondial. Le football local est essentiellement financé par des mécènes qui dépensent sans compter, avec l’appui non négligeable de certaines entreprises privées et parapubliques. Jusqu’au milieu des années 80, l’économie camerounaise connait une relative prospérité. Mais à partir de 1988, avec l’avènement de la crise économique, l’Etat et les mécènes démissionnent.

Et vient le déclin. Avec un intermède de 1998 à 2003 couronné, paradoxalement, par deux Coupes d’Afrique des Nations (2000 et 2002), une victoire aux JO 2000 et une finale de Coupe des Confédérations contre la France à St. Denis (2003), dans une ambiance de deuil : Marc Vivien Foé, l’une des figures emblématiques de cette génération, vient de nous quitter.

Cette période de 5 ans cache mal les piètres résultats des équipes et clubs nationaux lors des compétitions internationales, et ce à tous les niveaux (des cadets aux seniors), la chute libre des clubs camerounais sur le plan africain – le dernier titre continental remonte à plus d’1/4 de siècle –, la baisse d’affluence dans les stades nationaux, l’inconstance du championnat national (16 clubs, puis 14 et même une formule à deux poules – je ne sais plus –, les tripatouillages de tous ordres), la disparition des championnats pour jeunes et, bizarrement, la création d’écoles de football dont l’objectif inavoué est surtout de décrocher le jackpot, en vendant à prix d’or aux grandes écuries européennes, de jeunes pousses à peine confirmées.

II - Les raisons du déclin

Plusieurs facteurs justifient ces camerouniaiseries. D’abord l’absence de stratégie efficace à long terme. Une belle illustration de cette navigation à vue est le nombre de sélectionneurs recrutés par le Cameroun depuis Lechantre. Je vous laisse le soin de faire l’addition. Pitoyable ! Cet amateurisme dans la gestion d’un si grand patrimoine est renforcé par l’absence d’adéquation entre le rayonnement voulu du football camerounais vu de l’étranger (les Lions Indomptables) et la triste réalité du football au Cameroun. Pourtant gérer c’est prévoir, anticiper. Outre la prévision, le gestionnaire utilise d’autres outils comme le pilotage au moyen d’indicateurs de performances et surtout d’ajustements au vu des écarts constatés. Se fixer des objectifs clairs (comme devenir champion du monde en 2018 !) et bâtir un programme qui s’articule autour d’un tel programme. Mesurer, ajuster. Toujours mesurer. Toujours ajuster. Comment peut-on rêver d’une équipe fanion véritablement indomptable si le championnat national reste désorganisé, si les querelles entre les divers acteurs du football persistent, s’il apparait clair que les textes régissant le fonctionnement de la Fecafoot nécessitent plus de refonte et si une politique réelle pour le football des jeunes, gage d’un succès pérenne, est inexistante ? Les années passent, le football se meurt et aucun ajustement palpable n’est fait. Ne me parlez plus pompeusement de 6 participations à la coupe du monde si chaque fois on doit sortir dès le premier tour.

Le stade municipal de Bafoussam, symbole de la décadence de notre football

Autre facteur de cette décadence, c’est l’absence d’adaptation (d’ajustement) aux nouvelles réalités économiques du Cameroun qui ont provoqué le retrait de l’Etat et la disparition des mécènes. Cette situation aurait dû interpeler les gestionnaires du football camerounais. Le mode de financement du football aurait dû être repensé. La Fecafoot se targue depuis quelques années d’avoir pu décrocher un contrat juteux avec une importante société de téléphonie mobile. A y regarder de près, on n’éteint pas l’incendie. Au contraire on entretient les braises. Il n’y a qu’à voir l’attitude des dirigeants de clubs camerounais face au pactole : de vrais gloutons, de véritables rapaces ! Cette attitude de la Fecafoot qui consiste à « subventionner » les clubs de la Elite One et de la Elite Two ne sert pas le football local. Elle tue l’ambition des dirigeants de clubs ou leur esprit d’innovation puisqu’elle les transforme en éternels assistés. Un peu comme l’aide qui ne tue pas l’aide… De plus, les équipes bénéficiaires de ces subventions n’ont visiblement pas de compte à rendre sur les destinations finales de ces fonds. Le regretté Eugène Njoh Léa, l’illuminé, tente d’instaurer un type de professionnalisme au Cameroun en 1985, les camerouniaseries, encore elles, l’en découragent. Osons espérer que les résolutions du Forum national du football qui s’est déroulé du 25 au 27 mai 2010 à Yaoundé seront appliquées. Pour une fois.

Récemment, un collègue égyptien bien tendre avec moi (il n’avait pas le choix, l’Egypte ayant été recalée par l’Algérie) a noté que l’engagement physique de certains joueurs professionnels au sein des équipes nationales « africaines » (entendez « noires ») laisse penser que ceux-ci n’ont plus faim ou pire savent parfaitement où se trouvent leur intérêt. C’est-à-dire ailleurs, en club, en Europe... Ils n’ont pas le fighting spirit d’un Ndip Akem ou d’un Bertin Ebwelle qui savent ce que veut dire « mouiller le maillot » ou « le hemle ». Si le football local est bien géré et si les installations sportives sont de bonne facture, des Vincent Aboubakar cinq étoiles, on en aura à la pelle. Justement des infrastructures parlons-en. L’autre facteur qui tire notre football vers le bas. Près de trente ans après notre première participation au Mundial espagnol et vingt ans après le but d’Omam Biyick à San Siro, on en est encore à jongler avec les terrains boueux ou poussiéreux de Limbé ou de Mbouda. Pour avoir vu de mes propres yeux les installations d’Al Ahly Club ou du Zamalek Sporting Club au Caire, nous sommes à des années-lumière de ces performances. Ce n’est pas un stade financé grâce au concours de la compagnie de téléphonie mobile qui fera le miracle tant espéré. Ce n’est peut-être qu’un début soit, mais rien ne me rassure de l’existence d’une vision à long terme. Outre l’Egypte et, à une échelle plus large, la plupart des pays du Maghreb, d’autres modèles de réussite existent : le modèle asiatique et le modèle latino américain, ou comment autofinancer le football local et emmener les gens à l’aimer. Pas besoin d’être sorti de Harvard pour comprendre que les dirigeants de notre football devraient se rapprocher de leurs homologues asiatiques ou latino-américains pour comprendre les raisons de cette réussite tout au moins apparente. D’autant plus que le football latino-américain et le football camerounais (africain) ont un trait commun : la passion. Il ne s’agit pas copier-coller mais de s’informer, apprendre, adapter, se projeter, mettre en action, ajuster et toujours ajuster afin de tendre vers les objectifs majeurs préétablis.

Le dernier facteur de la décadence  de notre football, c’est l’amateurisme dans la gestion des Lions Indomptables seniors, principale figure de proue du football camerounais ou du Cameroun tout court à l’étranger. Au fil des ans, nos dirigeants successifs ont contribué volontairement ou non à sacrifier ce capital « culturel ». Malgré toute la polémique que cela a pu créer ça et là, j’ai aimé qu’enfin les Lions soient traités comme de petits princes. Cela change d’une époque où il manquait de ballons ou même d’eau minérale pendant les séances d’entrainement à Mfandena. De mémoire de supporter, les lions n’ont jamais été aussi bien traités. Est-ce une opération durable ? J’ose espérer sans trop y croire car nos camerouniaseries nous rattraperont à coup sûr.

A suivre : Stratégies de redéploiement