Quand Edouard Baer, comédien cosmopolite, ex-clown canalplusien ou organisateur de rencontres baroques sur scène ou sur l’écran (voir ses deux longs métrages en tant que réalisateur), monte sur scène pour reprendre une autobiographie de Modiano, ça impose le respect. Baer, aussi à l’aise dans les grosses productions que dans le minimalisme le plus total, fait son monologue en reprenant un auteur qui l’inspire.
Edouard Baer le confesse, il adore Modiano. Nous moins, du moins avant la pièce. On découvre donc un comédien face à son public, comme le récit de Patrick Modiano, grand écrivain du XXe siècle, dont l’esprit prend corps pour nous conter ses premières années. Dans Un Pedigree, Modiano livre en effet dans un style semi-interrogateur semi-objectif l’histoire de ses vingt et une première année. Rappelez vous qu’à l’époque, 21 ans est le seuil de la majorité, et l’armée un passage obligé. On oscille entre 1944, année de naissance, et 1965, année des premières turbulences. Modiano ouvre même sa propre histoire sur ses deux fondations, la mère comédienne désintéressée par ses enfants, le père éloigné dans des affaires obscures. Le jeune Patrick aura donc une enfance de pensionnat, avec de rares passages en famille et à distance la mort d’un jeune frère qui le marquera à jamais.
Baer incarne donc l’écrivain, s’en fait la voix pour l’interpréter sur scène. On ne sera guère étonné que derrière le trublion on retrouve le comédien. Après tout, Baer reste un poète des mots même (et surtout) en pleine crise humoristique, il baigne dans le verbe et l’éloquence. C’est aussi pour ça qu’on l’aime. Reprenant mot pour mot (sans doute) l’histoire de la vie de Modiano à la première personne, il nous raconte les parents artistico-juifs, la seconde guerre et la vie sous l’Occupation, la naissance en 44, … jusqu’aux premières années d’indépendance, le conflit paternel, l’absence maternel, et tout ce que Modiano a bien voulu raconter. L’aspect historique, chronologique permet une accroche réelle dans l’histoire. Les références artistiques nous replacent dans le contexte. Les ballades dans Paris sont facilement visualisables. Bref, Baer nous raconte sa vie et nous on imagine.
Au final ce moment de vie glané auprès d’un auteur, et raconté par un autre, est très intriguant. Modiano ne cesse finalement durant tout le récit de s’interroger sur ses parents, deux figures bien réelles pour lui dont il conserve que peu de souvenirs réels. De leurs vies passées, à leur vie commune, c’est avec une certaine nostalgie de l’époque et un regard passionné que l’auteur s’y replonge. Nous aussi, on aimerait bien que quelqu’un raconte un jour notre vie comme cela. Encore que, il faudrait d’abord en faire un livre. On commencera donc par lire ceux de Patrick Modiano.