Etat Chronique de poésie 926

Publié le 25 juin 2010 par Xavierlaine081

926

J’en reviens désormais à ce pays qui peu à peu se dévêt de son âme.

Il fut encore un temps de vergers et de potagers, de longues oliveraies à flanc de collines. On ne pouvait marcher sans être assourdi d’une lourde symphonie de cigales dans la torpeur d’un été aride. Les bastides encerclaient la ville dans un grand charroi agricole.

On se retrouvait à l’ombre des platanes pour entendre les mouches voler. L’anis frais venait délier les langues dans une longue fraternité saisonnière.

*

Mais voilà que sont venus les marchands et les industriels, fidèles agent des bourses d’avidité.

Porte ouverte sur tourisme roi, ils ont peu à peu édifié leurs quartiers aux marges de la cité.

Tapis dans l’ombre des pins plantés aux dépends des chênes blancs, ils attendaient que les vieilles souches s’éteignent.

Les clés offertes sur coussin électoral par une bourgeoisie locale blottie dans la crainte de l’étranger, ils ouvrirent les coffres et les grilles, puisèrent à pleines mains dans le patrimoine commun.

Leurs usines fermées, leurs ouvriers sacrifiés sur l’autel de leur féroce avidité, ils n’eurent, ceux-là, d’autre projet que de faire de la beauté et de l’ivresse place nette pour les bronze-culs de l’Europe.

Ils savaient que dans l’infinie rancœur des exclusions massives, ils puiseraient la manne utile à leurs cupides déraisons.

*

Ils s’appuyèrent sur la folle spirale d’un techno-scientisme triomphant, pour imposer leurs normes mondialisées.

Foin d’une culture millénaire. Quelques parcimonieux noms de rue en « lenga nostro » apposés pour satisfaire quelques félibres cramponnés aux traditions éteintes, ils levèrent des yeux langoureux vers un avenir solaire qui verrait germer et fructifier la multiplication de leurs économies.

On livra tout aux bétonniers de service. On s’appliqua à la laideur d’une ville, morte en dedans, hideuse en ses frontières.

Dans un grand fracas de véhicules courant en tous sens dans l’illusion d’une vie factice, ma ville se vautre dans le stupre d’un avenir qui a déjà goût de défaite.

Car c’est l’humain qui la déserte désormais, sans autre avenir que quelques ruines boueuses, dans un lit de rivière retourné lorsque, par malheur et contre toute prévision, un barrage, quelque part, déciderait de larguer ses amarres.

Car il n’est point de limite à la prétention de ceux-là, la terre est à leur botte sans limite.

Les hommes ne sont plus que quantité négligeable qu’il convient de presser comme des olives avant d’en jeter les margines à pleins scourtins de déportation hors de la sphère laborieuse.

A perte de vue, le sens se perd avec l’orientation dans la débauche de panneaux publicitaires mensongers. La vie pour être, doit se cramponner aux vieilles pierres de maisons encore debout et qui dureront bien plus que ces bâtis informes qui avilissent nos portes.

Encore faudra-t-il que nous ayons encore l’oseille pour nous y tenir, contre la marée obscène des sacrifices imposés, dans l’éternel mouvement de vases communicants qui vident les vases les plus petits au profit des plus puissants.

Combien de plumes sauront encore s’arquebouter pour empêcher le couvercle de retomber sur nos cris d’assoiffés ?

La place nette étant faite en des chaînes du livre vouées aux cotations et à l’avidité des actionnaires, sans doute n’y aura-t-il, sous peu, plus personne pour émettre juste protestation.

Le pays sacrifié n’aura point d’autre issue que de se vouer au silence total, les cigales elles-mêmes portant muselière pesticide…

*

« Je ne peux m’établir 

à chaque nouveau climat je me retrouve une âme d’antan 

en étranger je m’en détache 

revenu en naissant d’époques trop vécues 

jouir une seule minute de vie initiale 

je cherche un pays innocent » 

Cristina Castello  

Nous voici sur le chemin

notre quête d'innocence ne trouve point de racine

que les pays sont durs

à cueillir cette vie initiale

réfugiée dans un souffle

Manosque, 13 mai 2010

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