Kazuo Ishiguro, Nocturnes, Cinq nouvelles de musique au crépuscule, traduit par Anne Rabinovitch, Editions des 2 terres

Publié le 24 juin 2010 par Irigoyen
Kazuo Ishiguro, Nocturnes, Cinq nouvelles de musique au crépuscule, traduit par Anne Rabinovitch, Editions des 2 terres

 

Si ce que vous aimez chez Kazuo Ishiguro c’est la lenteur, alors passez votre tour.

L’écrivain japonais, qui vit depuis de longues années en Grande-Bretagne, revient avec un recueil de nouvelles, un genre auquel il s’attaque pour la première fois.

 

Dans la première, « Crooner », l’auteur met en scène deux hommes qui font connaissance piazza San Marco à Venise. L’un s’appelle Janek, il fait de la musique pour les hordes de touristes qui visitent chaque année la Sérénissime. Janek est engagé par un crooner médiatique du nom de Tony Gardner. Ce dernier veut chanter pour sa femme, espérant ainsi que le spectacle qu’il a prévu sauvera son mariage du désastre.

 

« Advienne que pourra » est la seule nouvelle que je sors du lot. Ray, le narrateur, est ami de longue date d’un couple que le mari veut engager pour l’aider à recoller les morceaux avec sa moitié – décidément ! -. L’aventure tourne au fiasco. Ray commet impair sur impair.

Dans « La colline de Malvern », Kazuo Ishiguro suit le parcours d’un musicien qui n’arrive pas à être sélectionné malgré le nombre d’auditions qu’il passe. Il se retire à la montagne, travaille en tant que serveur chez sa sœur. Il tombe sur des clients irascibles qui sont les seuls à aimer sa musique. Ils sont eux-mêmes musiciens.

La nouvelle qui donne le titre au recueil, « Nocturne », met en scène un saxophoniste qui se remet d’une opération de chirurgie esthétique. Sa copine est partie avec un autre homme. Il se retrouve alors avec Lindy Gardner – la femme du crooner – avec laquelle il discutera une nuit entière.

Enfin,dans « Violoncelliste » nous voici à nouveau piazza San Marco au milieu d’un groupe de musiciens où il est question de souvenirs. Souvenirs d’un certain Tobir, un violoncelliste hongrois abordée un jour par une violoncelliste du nom de Eloïse McCormack qui partira finalement avec un dénommé Peter.

J’ai lu, il y a quelque temps déjà, ce livre et je m’aperçois aujourd’hui que je n’en retiens pas grand chose. Au niveau de l’histoire, de l’écriture et de l’ambiance. Cela ne signifie pas que sa lecture a été un chemin de croix pour moi. Non, je dois dire que je l’ai lu avec plaisir mais, voilà, ce recueil ressemble un peu à ces mélodies qu’on oublie aussitôt après les avoir entendues à la radio.

Pour moi, ces nouvelles de musique au crépuscule se ressemblent trop. Je me demande pourquoi Kazuo Ishiguro n’a pas tenté l’unité dans le recueil en faisant revenir plusieurs personnages, comme c’est le cas avec Lindy Gardner – rappelez-vous comment Daniel Kehlmann s’y était essayé avec brio dans Gloire dont je vous ai parlé ici-même -. 

Si vous voulez lire autre chose deKazuo Ishiguro alors courez acheter ses deux premiers romans. Ils se passent tous les deux au Japon, pays dont Ishiguro est originaire, dans lequel il ne vit plus mais en parle merveilleusement. Dans ces deux romans-là, il y a une délicieuse lenteur que – à mon sens – permet peu ou moins la nouvelle.

 

 

La narratrice, Etsuko, est la mère de deux filles : Niki et Keiko – qui vient de se suicider –

La quasi-totalité du roman est un retour en arrière, à l’immédiat après-guerre. L’archipel nippon est à terre. Les Américains sont les nouveaux maîtres du pays. Une femme, Sachiko, qui a échappé à la mort à Nagasaki, prétend s’être amouraché d’un GI qui lui aurait fait croire en un avenir plus radieux si elle le suivait aux Etats-Unis. Tout cela n’est qu’un gros mensonge. Sachiko se retrouve seule avec sa fille qui, du coup, cherche tout le temps à s’enfuir.

Le livre est construit autour de duos. Duo de femme, duo femme/homme aussi avec Etsuko et Ogata-san, son beau-père, qui incarne les anciennes valeurs du Japon et ne comprend donc pas l’occidentalisation – l’américanisation – de son pays.

Finalement Sachiko partira bien mais pour Kobé. Au moment du départ, elle tuera les chatons de sa fille.

Cette scène reste gravée en moi.

Il s’agit d’un formidable roman sur l’apprentissage de la solitude, d’une large interrogation sur le Japon de l’après-guerre et l’effondrement des valeurs traditionnelles, sans oublier le conflit de génération.

Conflit dont le paroxysme, pour Etsuko, sera le départ de sa fille Niki.

 

On retrouve de nombreux thèmes abordés dans le livre précédent. Le narrateur s’appelle Masugi Ono. Depuis qu’il a repris la maison d’un certain Akira Sugumura, il vit retiré du monde avec sa fille Noriko qui peine à trouver un mari.

L’autre fille de Masugi Ono, Setsuko, l’aînée, vient voir son père de façon ponctuelle.

Le livre est, là encore,une confrontation entre la société actuelle qui cherche coûte que coûte à poursuivre les responsables de la guerre et les anciens qui voient d’un mauvais œil cette volonté d’épuration, pensant qu’ils doivent jouer encore un rôle important, qu’on ne pourra pas les écarter aussi facilement.

Il est aussi question ici du rapport à l’art, de la façon dont les anciennes générations considéraient cette activité. Au-delà d’un simple flash-back, apparaît au grand jour la nostalgie d’un monde nocturne, de plaisir, de divertissement, d’ivresse.

Très beau livre.