Le voyageur expérimenté a pour habitude de déplier sa carte et choisir le lieu de ses prochaines aventures. Existe-t-il une région qu’il n’a pas encore explorée ? Sans doute. Le monde pour lui est si vaste… Sous doute autant que la curiosité qu’il ressent à chaque fois qu’il faut prendre le chemin du départ. Jonathan Morali, leader de Syd Matters, est un routard de la scène indie. Voilà sept ans qu’il en arpente les moindres sentiers. Comprenez-moi, je ne parle pas là de world music. Non. J’affirme que la musique est pour Syd Matters un monde cartographié et qu’à chaque nouvel album, le groupe s’emploie à chercher un îlot encore vierge où poser ses valises pleines de partitions et d’instruments. Car le musicien n’est pas homme à se laisser cataloguer. Nous l’avions déjà constaté en le rencontrant. L’échange nourri nous avait permis d’en savoir un peu plus sur ses goûts, ses doutes, ses aspirations. Pas seulement folk (A Whisper And A Sigh), parfois rock (Someday We Will Foresee Obstacles), définitivement tournée vers la pop telle que Paul McCartney l’a définie dans ses premières œuvres solo (Ghost Days), la musique de Syd Matters aime « s’aventurer », au sens noble du terme, vers de nouvelles contrées. En 2010, le vent s’est à nouveau levé, il est temps d’embarquer. Avec Hi Life, il ne faut pas plus de quatre titres pour se faire une petite idée du lieu où nous allons bientôt amarrer. Brotherocean sortira fin août, mais pour l’heure, nous nous pencherons sur ces nouvelles compos. Les voyages forment la jeunesse et semblent également forger le caractère : Jonathan Morali en songwriter accompli a trouvé un espace aride, solaire pour planter son décor. Des chansons plus courtes, une instrumentation moins luxuriante que sur les précédents opus. L’homme nous emmène dans un nouveau monde presque abstrait. Une impression forte que prolonge l’esprit de la pochette, aux formes géométriques rappelant les constructions picturales de M.C. Escher. L’artiste suisse aimait tromper son monde avec ses perspectives truquées comme pour fausser nos moindres repères visuels. Il en est de même de la musique de Syd Matters. Dans un format pop, millimétré, l’auditeur se perd dans les dédales que constituent chaque note, chaque phrase, chaque idée. Malin, le bonhomme barbu a troqué sa production prog contre une guitare, une basse, une batterie et quelques claviers discrets. Ce qui déroute davantage. Comment s’égarer dans un paysage simplifié ? Dans une esquisse plutôt qu’une toile peinte ? Peut-être parce qu’avec cette vision imprévisible, les musiciens eux-mêmes acceptent de s’oublier, d’abolir le temps, les règles, de se laisser partir. Comme un routard qui s’enivre de ne pas savoir où il ira dormir le soir venu. Il faut une grande maturité pour réaliser ce petit miracle car si la chanson débute, s’envole, elle doit aussi à un moment atterrir, finir, rentrer à la maison. Sentiment frustrant et pourtant nécessaire : la boucle doit toujours être bouclée. Hi Life, la chanson titre procède de cette logique et le plus fou, c’est que trois minutes et quarante cinq secondes ont semblé durer une éternité, comme Atom Heart Mother de Pink Floyd qui fut un choc musical pour le jeune Morali. On appellerait ça une symphonie de poche. Le plus troublant réside dans le fait que la matière musicale n’a rien de symphonique. Comme dans We Are Invisible où Syd Matters frôle l’abstraction. Qu’on y prenne garde. Mélodie il y a. La musique est ici palpable, incarnée. Mais elle s’est en quelque sorte déshabillée, livrée. Un piano autour duquel s’enlacent la voix et la section rythmique et nous sommes au pays de la pop, mais sous son versant américain. Il y a du CSN&Y dans cette chanson-là. Quelques séquences électroniques, et l’interprétation en devient contemporaine, farouchement moderne. L’EP se referme comme un carnet de voyage sur Shore. Tremblement de cordes façon Leonard Cohen (The Partisan), la voix se fond dans un ciel marin qui rappelle dans une forme plus pure toute la mélancolie de Salty Dog de Procol Harum. Comme Gary Brooker, Morali est un chanteur habité, doué. Les chœurs, les pépiements de piano paraissent exister dans le lointain comme si nous étions dehors, dans les cieux, sur les mers, loin de la folie urbaine. L’albatros de Baudelaire ne pouvait s’arracher à la pesanteur du sol, Syd Matters, lui, s’est depuis longtemps envolé.