Magazine

Afghanistan : vers la malédiction des ressources ?

Publié le 24 juin 2010 par Unmondelibre

Nita Ghei – Le 24 juin 2010. L’Afghanistan pourrait receler des gisements minéraux d’une valeur de plus de 900 milliards de dollars, selon un rapport récent - une fortune pour cette nation touchée par la pauvreté. Mais il s'agit d'une fortune qui est peu susceptible d'être extraite au profit du peuple afghan.

Des économistes, de Milton Friedman à Mancur Olson, ont souligné que la différence entre pays riches et pays pauvres n'est pas une question de ressources, mais d'institutions. Les pays régis par des lois qui respectent les droits de propriété, et avec des institutions qui accroissent et facilitent les échanges libres, ont tendance à prospérer. Les pays où les droits de propriété sont précaires, et où le risque d'appropriation des biens par l'Etat est élevé, ont tendance à rester pauvres. Si l'État est susceptible de saisir les investissements ou les profits, pourquoi en effet investir dans une entreprise dans l'espoir d'un gain à long terme? D'autre part, plus la probabilité est forte de pouvoir garder ses profits et ses revenus, plus l'incitation à investir et à travailler dur est élevée.

Beaucoup de pays africains comme le Nigéria et le Zimbabwe, sont pauvres en dépit de ressources naturelles abondantes. Le Nigéria a de grandes réserves de pétrole, mais il est resté globalement pauvre en grande partie du fait de la mauvaise gouvernance, en dépit de certains changements positifs ces dernières années. Le Zimbabwe était un pays relativement prospère qui s'est effondré quand les droits de propriété ont été détruits par la redistribution forcée des terres, initiée par Robert Mugabe. Il a depuis été en proie à l'hyperinflation.

En revanche, Singapour, avec peu de ressources naturelles, est devenu riche au cours des dernières décennies. Il a également régulièrement été classé comme l'un des pays les plus libres du monde dans le rapport de l'Institut Fraser et du Cato Institute sur la liberté économique dans le monde.

Quel rapport avec l'Afghanistan? Beaucoup. Les institutions comptent. L’état de droit compte. Les États, en fournissant un cadre pour les institutions, jouent un rôle essentiel en facilitant les échanges libres sur les marchés modernes. Ce rôle de l’État est tenu pour acquis en Occident - si bien que la littérature sur la croissance économique semble en grande partie présumer que les marchés fonctionnent, « tout simplement ». La plupart de l'attention porte sur d'autres facteurs qui peuvent influencer la croissance économique, comme l'éducation, la technologie, et, bien sûr, les ressources naturelles.

Mais les marchés ne sont raisonnablement efficaces que lorsque les gens sont convaincus que les contrats seront exécutés, que les droits de propriété seront respectés, et que les investissements ne seront pas saisis par l'Etat ou un chef de guerre local. Ces éléments sont assez certains aux États-Unis ou en Europe, par exemple, mais pas dans de nombreux pays pauvres.

Et pas en Afghanistan. La découverte de gisements de minerais valant des centaines de milliards de dollars pourrait ainsi rendre le pays encore plus instable. L’Afghanistan n'est absolument pas un État moderne. Son gouvernement élu, dirigé par le président Hamid Karzaï, est limité dans sa portée et sa capacité à fournir les services juridiques que la plupart en Occident tiennent pour acquis.

En dehors de la faiblesse du gouvernement central, les seigneurs tribaux de la guerre fournissent une gouvernance très approximative et un semblant de stabilité. Les talibans fournissent également une sorte de gouvernance dans les zones qu'ils contrôlent. À l'heure actuelle, les chefs de guerre tribaux et les talibans ont, pour reprendre l'expression d'Olson, un intérêt « englobant » dans les zones qu'ils contrôlent. Il est dans leur intérêt de maintenir un certain degré de stabilité dans les zones où ils sont au pouvoir : il y a donc un équilibre fragile. La découverte de minerais précieux pourrait bien bouleverser cet équilibre et déclencher une lutte pour le contrôle des zones où les gisements sont situés.

Dans le même temps, à cause du manque d'infrastructure physique et juridique, la question de la facilité à extraire les minerais n’est pas claire. L'exploitation minière est un processus coûteux qui prend du temps. Les routes devront être construites, et de l'équipement et du personnel qualifié amenés sur une période de plusieurs années. Sans l’état de droit et des institutions publiques efficaces, le pays ne verra sans doute pas les investissements massifs dans les infrastructures et l'exploitation minière nécessaires pour extraire cette richesse minérale.

Dans l'une des rares études sur ce sujet qui considèrent la pertinence des institutions, publiée dans l'American Economic Review, Henning Bohn et Deacon Robert ont constaté que l'augmentation des risques des investisseurs entrainait une réduction de l'extraction des minerais. En Afghanistan, il y a un risque physique et juridique pour de tels investissements, qui ne contribue pas l’attractivité de l’investissement.

En fin de compte, les nouvelles richesses en minerais pourrait malheureusement plus faire souffrir le peuple afghan que le faire prospérer.

Nita Ghei est analyste au Cato Institute à Washington DC.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Unmondelibre 432241 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte