Genre : inclassable, drame (interdit aux - 16 ans)
Année : 1989
Durée : 120min
L'histoire : Fénix est un enfant de la balle, le fils de deux artistes de cirque (son père, lanceur de couteaux, est même le patron du cirque). La mère de Fénix, qui sert de partenaire à son père, est également prêtresse dans l’église impie du Sang Sacré, vouant un culte à une jeune femme ayant été violée, atrocement mutilée (bras tranchés) et assassinée. Un soir, Fénix voit ses parents s’agresser mutuellement : la mère châtre le père, et le père, avant de mourir, tranche ses deux bras à la mère. Fénix, devenu adulte, va alors avoir une certaine disposition à la violence…
Attention, il ne s'agit pas d'une chronique de Santa Sangre, le film ayant déjà été évoqué sur ce blog. Je sais que j'ai déjà évoqué plusieurs fois Santa Sangre sur le Cinéma d'Olivier.
Aussi, ce billet sera le dernier post consacré au film d'Alejandro Jodorowsky. A travers ce nouveau dossier cinéma, le but est de décortiquer le long-métrage. Donc, attention SPOILERS !
Après quelques chefs d'oeuvres malheureusement méconnus (au hasard, El Topo, Fando et Lis et la Montagne Sacrée), Alejandro Jodorowsky est contacté par Claudio Argento pour réaliser un giallo, intitulé Santa Sangre.
Alors que certains fans de Jodorowsky évoquent des films souvent difficiles d'accès, Santa Sangre vient clouer le bec à tout le monde, puisque Jodorowsky signe ici un long-métrage à la fois humain, onirique, émouvant, violent, sanglant mais incroyablement profond.
Oeuvre définitivement inclassable, Santa Sangre peut se voir ainsi comme une comédie, un drame poignant et généreux, un film d'horreur et un film psychanalytique dont les thématiques sont riches et complexes. Santa Sangre se concentre essentiellement sur les traumatismes de son personnage principal, Fénix, un enfant du cirque. Et c'est bien dans l'enfance du héros que se trouve l'origine du problème.
Tout ceci se cristallisera en failles profondes et indélébiles, transformant à jamais Fénix.
Dans un premier temps, Fénix vit très douloureusement la mort de son éléphant, animal symbolique lui permettant une certaine sérénité et un rattachement à la réalité alors qu'il vit au sein d'une famille déchirée et pathologique.
Mais l'éléphant sera sacrifié, son cercueil sera sabordé dans un ravin, et l'animal sera dévoré par quelques miséreux crevant de faim.
Fénix ne s'en remettra jamais, et ce malgré le soutien indéfectible de quelques personnes du cirque. Second traumatisme, et pas des moindres: la séparation avec Alma, une jeune fille du cirque, muette, du même âge que Fénix, qui permet encore à ce dernier de se rattacher à une certaine réalité.
Mais la vie les sépare. Alma est partie, Fénix est abbatu. Il vient de perdre celle qu'il aime. Leurs adieux sont tout simplement déchirants.
Troisième et dernier traumatisme: la mort violente de ses parents, et plus particulièrement le décès de sa mère que Fénix, déjà affaibli par quelques expériences douloureuses, n'accepte pas.
C'est ce qui va déterminer sa construction et son évolution en tant qu'individu et en tant qu'adulte. Mais toutes ces pertes, tous ces traumatismes déboucheront sur une sorte d'autisme et de repli sur soi, profondément ancrés dans le passé et dans l'enfance de Fénix.
De ce fait, n'ayant pas pu effectuer un travail de deuil nécessaire, la figure maternelle deviendra un fantôme persécuteur, tyranique et castrateur, poursuivant inlassablement Fénix.
Dans ses moments de transe, Fénix devient alors un serial-killer qui s'en prend aux femmes, cherchant symboliquement à tuer sa mère.
Ce qui est plutôt paradoxal par ailleurs puisque Fénix cherche également à se faire aimer par cette femme qui l'a toujours renié.
Mais ne l'oublions pas: du fait de son passé et de son enfance vécue dans la tragédie, Fénix est malade et donc non-responsable de ses actes.
Pourtant, une fois devenu adulte, c'est un magicien de talent. Mais les démons du passé sont toujours présents, plus que jamais.
Une question se pose alors: qui peut libérer Fénix de ses fantômes du passé ? Réponse: Alma est la seule personne qui peut le ramener à la réalité et le libérer de ses chaînes, Fénix vivant depuis de nombreuses années comme un martyr (quasi christique).
A travers Santa Sangre, Alejandro Jodorowsky évoque les bases psychanalytiques qui se trouvent dans la généalogie et la famille de l'individu, tout ceci étant source de conflits, de chocs conscients et inconscients, ayant des répercussions sur la construction et l'évolution de Fénix.
Ce dernier aboutit à une négation de lui-même, à une souffrance terrible et à une dépersonnalisation. Et finalement, Santa Sangre exprime ce qu'est la vie, à travers une magnifique histoire d'amour et à travers les illusions de l'enfance.
La vie, c'est avant tout une aventure humaine, basée à la fois sur l'amour, la haine, la mort, le deuil, le pardon, l'amitié, l'abandon... au sein d'une humanité pouvant se montrer à la fois cruelle et chaleureuse. Et encore une fois, Santa Sangre exprime tous ces sentiments qui martèlent un individu.
Alejandro Jodorowsky illustre son propos en réalisant un film musical, théâtral, la thérapie passant ici par le mouvement des corps, la danse, les dialogues intervenant assez peu.
Ce qui fait de Sante Sangre une oeuvre brillante, magistrale, puissante, cruelle, barbare, gore, complexe, riche, symbolique, émouvante mais totalement compréhensible dans sa narration.
Impossible de ne pas verser quelques larmes devant ce chef d'oeuvre du Septième Art.
Eelsoliver