ABSENCE DE PRESENT.
Le sentiment de vide qui se colle aux murs
et les murs qui font mal
rien qu’à les regarder
je suis une silhouette à peine un souvenir
je suis une silhouette bue par le présent
à peine si j’ai conscience que je suis
je ne suis qu’un frisson qui vrille le présent
un présent évidé et quasiment dissous
je sais chaque moment flasque affaissé fuyant
tel un mollusque sans colonne vertébrale
je le vois s’avachir il n’est pas soutenu
par un axe épine dorsale
qu’il faudrait
je doute de ma présence de mon présent
de ma présence dans ce présent si absent
l’absentéisme du présent et le mien
s’imbriquent participant de la même buée
je ne suis qu’une série d’hésitations
j’hésite mais qui hésite en moi est-ce je ?
à la frontière entre je et l’effacement
la sensation de vide s’est collée au mur
je ne sais même pas d’ailleurs si je suis
je me dissous dans cette absence de présent
que traverserait comme du beurre une épée
JE, L’AUTRE, ON.
Je est un autre. Mais quel autre ?
Car ce n’est pas tout de dire que je est un autre, encore faut-il préciser aussi qui est l’autre en question, de qui exactement s’agit-il.
Or, ça, on ne le dit jamais.
Alors, comment peut-on savoir ?
Je veux dire…comment peut-on savoir quel autre, quelle sorte d’autre est je ?
Car les autres, on est bien d’accord sur ce point, ce n’est pas ça qui manque.
Un autre hors je…ou bien en je ?
Non, je ne vous ai pas dit « hors-jeu », pas plus qu’ « orge », ni « en jeu », ni « ange » !
Comment peut-on affirmer que je est un autre alors même qu’on ignore tout de la nature de cet autre, de son identité ?
Comment peut-on comparer un je avec un autre dont on ne sait rien ?
Enfin, cela n’a pas de sens !
Si je est un autre, alors, automatiquement, je s’annule. Il s’annule dans l’impression (sur laquelle on bute automatiquement) de ne pas savoir qui est, ce qu’est l’autre !
Ce qui revient à dire que je ne peut savoir qui il est, ce qu’il est.
Même en se regardant dans un miroir, c’est un autre qu’il verra…et…que dis-je ? non…même pas un autre, puisque l’autre, on ne sait pas qui c’est, ce qui prouve qu’on ne l’a jamais vu et que, par conséquent, non content d’être bien en peine de le reconnaître, on ne peut qu’être fondé à douter de son existence.
Bref. Mais tant qu’on ne m’aura pas dit quel autre est je, je ne pourrai jamais dire que je suis un autre.
Et imaginez…si jamais je était un autre moi-même ?
Que penserait moi-même de tout ça ?
Rimbaud y a-t-il réfléchi ?
C’est déjà assez dur, je trouve, pour je d’être également moi-même…et c’est non moins dur pour moi-même d’être par la même occasion je.
Si l’on vient y ajouter un autre, c’est le clou, le chien dans un jeu de quilles. C’est l’éléphant qu’on a lâché dans le magasin de porcelets de laine.
Comment voulez-vous vous y retrouver, dans un tel bric-à-brac, dans un pareil méli-mélo (digne du mélo) de brocs et de briques ?
Dire « je est un autre » est devenu à la mode, alors, on le dit.
Mais, au fait, je n’avais pas pensé à ça non plus, qui est On ?
Et pourquoi On dirait-il je tout en affirmant dans le même temps qu’on dirait bien que ce dernier n’est autre, en dernier ressort, qu’un autre ?
Je n’arrive pas à comprendre comment On tire son épingle du je…ni, du reste, comment je laisse dire si facilement On.
Au fond, On joue et ce qu’On pense, sincèrement, c’est que la vie n’est qu’un je.
Dans ces conditions, qui, de On, de je, de l’autre est le plus crédible ?
P.Laranco.