- Wouahou cool p’pa ! T’as acheté Mario Galaxy ! J’voulais justement le rajouter sur la liste de Candice pour Noël. (Candice c’est sa sœur. Sa liste à lui est déjà archi pleine). C’est super, tous mes copains l’ont commandé pour Noël et moi je vais pouvoir y jouer avant eux !
- Eh mais j’ai pas dit que c’était pour toi. Je l’ai acheté pour mon travail !
- Tu parles, tu travailles pas là ! Tu joues !
- Non, fiston, malgré les apparences… Dzing… raté…Dzang…là je bosse. Ça se voit peut-être pas mais… Bang… Dzing… Schtong… je décortique ce qui se fait de mieux au monde niveau gameplay aux petits oignons.
- N’importe quoi !
Sur ces entrefaits mon portable sonne. Le temps que je réponde et mon fils s’est déjà emparé de la Wiimote.
Une heure plus tard je réponds à mes mails, pendant que les Dzing…
Dling… Wouah… Bang… continuent de plus belle dans la pièce à côté.
Agaçant !
Un peu plus tard, aux bruitages endiablés, se superposent quelques
éclats de rire : c’est la petite qui l’a rejoint. Elle peut rester des
heures rien qu’à regarder jouer son frère. J’entends ses commentaires
et ses conseils. Lui c’est le bras armé. Elle, c’est la Princesse Harmonie
qui donne les ordres. De temps en temps, c’est plus fort qu’elle, elle
sort pour venir me raconter ce qui se passe.
- Y’a un monstre avec une coquille d’œuf sur la tête ; il a une grande
bouche avec plein de dents pointues et une longue queue et patati et
patata…
Les Dzing… Dling… Wouah…Bang… Dzzz….Ya… continuent.
Un long moment plus tard, la revoilà qui revient toute excitée, l’autre
Wiimote dans la main. Elliot a dû se résigner à sous-traiter la congélation de boules
gluantes ou de petits monstres sauteurs.
- Papa, viens voir, c’est trop rigolo : Mario il s’est transformé en abeille et il vole et patati et patata…
Dling… Watch… Outch… Ye…Wouah…Bang… Paf…
- Une ENORME araignée avec trois yeux, avec des bulles dessous son corps qui lancent des trucs dangereux…
Dling… Wouah…Bang… Dzzz …Wouah…Bang… Paf… Bang… Dzing… Schtong !
Quelle épopée ! Et dire qu’on critique souvent Super Mario pour la
pauvreté de son scénario ! Tous ces trucs qu’elle me raconte ce ne
serait pas le Graal de beaucoup de créateurs de jeux ? Ce qu’on appelle
savamment le gameplay narratif. Ici, la légende est générée par le
gameplay, elle se confond totalement avec lui.
En tous cas, belle réussite que ce Mario Galaxy ! Alors que la plupart
des gros hits du moment lorgnent du côté du cinéma, lancés à 300 à
l’heure sur leurs consoles V12 turbo ou sur leur PC aux anabolisants,
lui sur sa Wii décapotable de collection, il s’en va musarder vers le
manga, le dessin animé, les arts plastiques. Tout ça pour le bonheur
d’un public familial trop souvent délaissé, au profit des blockbusters
next gen qui affichent fièrement leur 18+ comme des gages de qualité
adulte.
On a souvent comparé à tort Miyamoto, créateur de Mario, à Spielberg.
S’ils partagent tous deux la même attirance pour l’enfance et la
puissance de l’imaginaire, il me semble qu’à l'étape historique où
sont parvenus les jeux vidéo, il serait plus juste de comparer Miyamoto
à Charlie Chaplin. Outre la ressemblance entre leurs deux héros
moustachus, tous les deux sont d’immenses défricheurs de leur art.
Quand est arrivé le cinéma parlant, Chaplin, maître du cinéma muet, a
été l’un des ses plus farouches opposants. Il sera d’ailleurs, l’un des
derniers à réaliser des films muets.
De son côté, fidèle à ses principes fondateurs, notamment à ses
sous-titres d’un autre âge, Miyamoto s’attarde encore, grâce à mille
trouvailles, à repousser les limites d’un art dont il a été le
principal créateur. Wikipedia nous donne cette explication à propos de
Chaplin : « La révolution du cinéma parlant laisse Charlie Chaplin
perplexe, non pas parce qu'il est devenu une icône du cinéma muet,
cette considération ne vaut pas encore, mais parce que les fondements
de son jeu humoristique du personnage de vagabond Charlot proviennent
de gags visuels suivis de situations poétiques ».
Remplacez mots pour mots cinéma parlant par consoles HD, Charlie
Chaplin par Miyamoto, cinéma muet par jeux vidéo, Charlot par Mario, gags par gameplay. Vous verrez que la citation peut s’adapter
parfaitement à la situation actuelle du créateur japonais.
Une question désormais se pose : combien d’années encore Miyamoto
parviendra-t-il à conjuguer son art classique avec la maestria qu’on
lui connaît ? Finira-t-il à son tour par suivre la voie du réalisme
visuel dans laquelle la plupart de ses confrères se sont désormais
engouffrés et vers laquelle le jeu vidéo marche inéluctablement depuis
sa naissance ?
PS : une interview de Miyamoto concernant Super Mario Galaxy illustre la problématique abordée dans ce billet.