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Procédure prioritaire de contrôle de constitutionnalité et droit européen

Publié le 24 juin 2010 par Duncan

CJUE, 22 juin 2010, Melki et Adbeli, C-188 et 189/10.

Arrêt important, sur une question qui a déchiré la France. Non, il ne s'agit pas des déboires des bleus en Afrique du Sud, mais du recours en constitutionnalité introduit en France par une modification de la Constitution française (2008) et une loi organique de 2009 et de la conformité de ce système avec le droit européen.

L'article 61-1 de la Constitution française dispose que "lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé", selon que la juridiction saisie dépend du Conseil d'Etat (juridiction de l'ordre admlinistratif) ou de la Cour de Cassation (juridiction de l'ordre judiciaire).

En pratique, selon la loi organisant cette procédure, "lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’État ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires".

Deux interprétations divergentes de cette nouveau recours s'affrontaient. Selon une première interprétation, le résultat de ce mécanisme est "d’empêcher, tant avant la transmission d’une question de constitutionnalité que, le cas échéant, après la décision du Conseil constitutionnel sur cette question, les juridictions des ordres administratif et judiciaire nationales d’exercer leur faculté ou de satisfaire à leur obligation, prévues à l’article 267 TFUE, de saisir la Cour de questions préjudicielles" (point 47), ce qui serait contraire au droit communautaire. Selon une deuxième interprétation, (points 34-35) "il serait exclu qu’une question prioritaire de constitutionnalité ait pour objet de soumettre au Conseil constitutionnel une question de compatibilité d’une loi avec le droit de l’Union. Il n’appartiendrait pas à celui-ci, mais aux juridictions ordinaires des ordres administratif et judiciaire d’examiner la conformité d’une loi au droit de l’Union, d’appliquer elles-mêmes et selon leur propre appréciation le droit de l’Union ainsi que de poser, simultanément ou postérieurement à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, des questions préjudicielles à la Cour.À cet égard, le gouvernement français soutient notamment que, selon la législation nationale en cause au principal, la juridiction nationale peut soit, sous certaines conditions, statuer au fond sans attendre la décision de la Cour de cassation, du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité, soit prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires afin d’assurer une protection immédiate des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union".

La CJUE rappelle à cet égard (points 49-50) "qu’il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer, dans les affaires dont elle est saisie, quelle est l’interprétation correcte du droit national. En vertu d’une jurisprudence constante, il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne qu’elle doit appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union".

La première interprétation est donc condamnée. Par contre, selon la Cour, le droit européen ne s'oppose pas à une telle législation nationale, "pour autant que les autres juridictions nationales restent libres:

  • de saisir, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de toute question préjudicielle qu’elles jugent nécessaire,
  • d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et
  • de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union.

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale en cause au principal peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union.

Ces questions de primauté sont au coeur de plusieurs arrêts de la Cour à venir. Je renvoie le lecteur vers les conclusions de l'AG Cruz Villalon sous l'affaire Elchinov.


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