Fin de partie. Les Bleus ont le blues.
Si j'avais suivi ma méchante pente – me l'a-t-on reprochée, cette pente ! – j'aurais fait dans le sarcasme, la ricanerie (la ricanerie, oui), l'outrance aussi, l'imprécation tant qu'à faire. Et puis j'ai regardé leurs tronches, à tous. Enfin ceux qui passaient devant les caméras, qui arrivaient à ne pas s'esquiver, après cette branlée d'anthologie – on la met où on peut, celle-là –, les Domenech, Evra, Gourcuff, Henry, Ribéry... L'Escalettes, même... Domenech, surtout, son speech d'après-match, ou son smash d'après pitch, je ne sais plus, et p..., j'ai eu de la peine pour lui. Ce mec, dix minutes avant je le traitais de fiote, d'incapable, de bouffon. Et là, les yeux rougis, la voix blanche, il m'a fait pitié d'un coup. D'un coup. Oui, c'est ça, j'ai eu de la peine pour lui. Je dis ça au premier degré, j'essaie de ne pas me moquer, pour une fois. J'ai eu mal pour lui.
On a tous raté quelque chose, un jour ou l'autre. Raté vraiment, pas la bourde vénielle, non, l'humiliation au bout de la route, et cette nausée de soi, soudain, cette honte... Ce vide aussi, cette solitude, lâché par la meute, les faux-amis vrais faux-culs, leur regard fuyant... Oui, ça a pu m'arriver de foirer grave, de faillir, comme à d'autres... Alors devant la tête d'emplâtre de Raymond, ce mardi de Waterloo, quelque chose en moi a dû remonter à la surface, et ma colère, ou ma honte, ou mon mépris, se sont évaporés. J'ai eu pitié de Raymond, et c'est devenu mon frère.
Et tous ces autres bras cassés sont devenus mes frères. Ces types hagards, habillés d'un bleu de France qui les écrasait tout à coup. Ces tocards de banlieue pourris de fric, farcis de bêtise crasse, ces grévistes milliardaires, ces analphabètes à Ferrari, arrogants, odieux envers leurs supporters, ces chiens gras mordant la main qui les nourrissait trop bien... Oui, tout ça s'est envolé d'un coup, et j'ai vu des gosses malheureux à chialer... Humiliés. Alors je me suis dit : je vais fermer ma gueule, pour une fois je vais la fermer. Ils sont à terre.
J'ai pu me moquer, dans ce blog, des errements de notre équipe nationale de manchots dès les qualifications – manchots sauf pour tricher, n'est-ce pas Thierry ? –, de leurs fanatiques et de tous les autres fanatiques de cette guerre des chauvinismes par ballon rond interposé. L'accumulation des bévues de la horde française, staff et joueurs réunis, et les railleries qui s'ensuivirent dans la presse internationale, même sérieuse, nous ont impliqués en tant que Français, sinon comme supporters, qu'on soit aficionado ou pas. Voilà comment j'en étais arrivé à vouloir pendre Domenech, Anelka, Escalettes et toute cette bande d'abrutis qui ont humilié mon pays. Et maintenant, plus rien en moi de cette indignation... Je ne vois plus que des vaincus blessés, et l'amphithéâtre qui réclame leur mise à mort en brandissant le pouce vers le sol, la bouche tordue de haine. Vae Victis !
Alors, ces foutriquets de politiques – et ces foutriquètes, comme les deux consœurs du ministère, la rose et la noire, qui s'en donnent à cœur-joie –, qu'ils aillent donc blanchir leur âme ailleurs ! Qu'ils la ferment, nom de D... ! Ce sont mes frères, je vous dis, et "ils ont eu du mal assez" ! Lâchez-les maintenant. Laissez-les cicatricer, nous leur taperons dessus plus tard.