Borislav Škegro, l'homme qui adhérait à un adipeux matelas financier
En Croatie comme ailleurs une poignée d'analystes économiques ou financiers ont actuellement le dernier mot sur tous les sujets. Pourquoi et en vertu de quoi ? Nous ne le savons pas. Deux choses sont sûres : la source de leur pouvoir n'est pas démocratique et ils ont les médias à leurs pieds. Parmi ces analystes, le plus présent et le plus influent est certainement Borislav Škegro. Ancien ministre des finances sous le gouvernement de Zlatko Mateša, il est l'actuel conseiller économique de la Premier ministre Jadranka Kosor. Sans cesse consulté et courtisé, on peut dire de lui qu'il fait la pluie et le beau temps en Croatie.Mais voyons un peu qui est Borislav Škegro à partir de quatre sources parfois anciennes mais encore en ligne :
- Dans le journal belge Le Soir, la fin d'un article consacré aux pressions exercées contre la presse par l'ancien régime du président Franjo Tuđman signalait :
Admises avec de fortes réticences au sein du Conseil de l'Europe, les autorités croates, désormais, n'ont de cesse de répéter à leurs interlocuteurs occidentaux qu'elles ont définitivement rompu avec les moeurs balkaniques, qu'elles sont mûres pour obtenir enfin leur billet d'entrée dans toutes les grandes institutions, politiques ou financières, internationales. Mais, sur le terrain, quelques serviteurs sans doute trop zélés continuent de multiplier les maladresses du plus mauvais effet. Edita Vlahovic, journaliste à «Novi List», le quotidien de Rijeka, également sur la liste noire, est bien placée pour le savoir. Pour avoir déplu au vice-Premier ministre Borislav Skegro, elle s'est vue menacer à la sortie d'une réunion du gouvernement. Avec un revolver brandi sous son nez... [1]
- Au-delà de cette anecdote typique de l'ère Tuđman, le journal Libération expliquait pour sa part un peu plus largement le contexte de l'action du ministre des Finances :
Les pays des Balkans rivalisent d'offensives de charme pour séduire les investisseurs étrangers réunis depuis ce week-end à Londres à l'assemblée générale de la Berd, la banque européenne chargée d'aider les anciens pays de l'Est dans leur transition vers l'économie de marché. La palme revient haut la main au vice-Premier ministre croate, Borislav Skegro, de loin le plus charmeur, mais aussi de loin le plus menteur par omission. Sa présentation, devant un parterre de trois cents investisseurs occidentaux, avait pourtant mal démarré, lundi soir, avec une vidéo" en panne. Le drapeau croate a flotté dans le vide sur l'écran pendant cinq minutes sous les applaudissements amusés du public. Le vice-Premier ministre ne s'est pas démonté pour autant, vantant une inflation ramenée à 3,5% par an en 1996 (contre plus de 50% par mois en 1993). La croissance fait aussi bonne figure: 6,5% en 1996 et 5,7% prévu cette année, alors qu'elle était négative jusqu'en 1993. Même les réserves du pays en devises sont rondelettes: 2,5 milliards de dollars. Le déficit budgétaire est contenu: 2,6% du PIB cette année. Bref tout irait pour le mieux dans ce pays qui ignore l'impôt sur le capital, si les chiffres étaient des vérités absolues.
Borislav Skegro avoue ainsi un chômage à 10% de la population active, alors que les institutions internationales s'accordent sur le double. Et s'il vante fièrement un programme de privatisation bien avancé, avec deux tiers des entreprises croates privatisées, il ne s'étend pas sur les conditions dans lesquelles les privatisations se sont effectuées, et qui ont, selon l'opposition, permis de concentrer le pouvoir dans les mains des amis politiques. [2]
- Avec une telle politique le gouvernement de Zlatko Mateša n'était pas populaire et il ne sera pas reconduit aux affaires. Dans l'hebdomadaire serbe Nin, au travers d'un article consacré au changement de pouvoir en Croatie dans le courant de l'année 2000, les lecteurs avaient pu lire :
Le ministre de plus sinistre mémoire au sein du gouvernement démissionnaire de Zlatko Mateša était le ministre des Finances Borislav Škegro. Dans leur pays les Croates s'en souviennent par ses impôts draconiens et par leurs sincères voeux de citoyens pour qu'il "brûle en enfer dans les pires tourments". Après ces élections, Škegro n'a plus retrouvé son siège au Parlement, et pour l'heure il visite l'Eglise Saint Pierre à Rome dans une énigmatique tournée dans les Etats pontificaux où personne ne l'a invité, pas plus que quelqu'un de l'ancien ou actuel gouvernement ne l'y a envoyé. [3]
Si Borislav Škegro n'a pas été réélu depuis une décennie, on pourrait en déduire que les citoyens croates n'ont pas vraiment besoin de lui ni de ses services. Cela n'y change rien puisque suite à la terrible dérive que l'on connait le véritable pouvoir est devenu d'ordre financier et non plus démocratique... pour ceux qui ne l'ont pas encore compris. - Dans le livre en anglais "Doing Business with Croatia" publié par Marat Terterov et Višjna Bojanić, on signale aux investisseurs désireux de placer leur argent en Croatie :
Treća Sreća (La Troisième chance) est le consortium constitué de l'opérateur suédois Tele2 et de neuf compagnies croates - Dalekovod (promoteur immobilier), Jamnica (spécialiste des boissons), FIMA Holding (société de portefeuille), Croatia osiguranje (principale société d'assurance croate), Nexe grupa (agence pour le commerce), Konstruktor inženering (entreprise industrielle), Lura (industrie laitière), Institut građevinarstva hrvatske (entreprise de construction) et Privredna banka Zagreb (la deuxième banque croate par sa taille). A la tête de Treća sreća on trouve Borislav Škegro, ancien ministre des Finances et directeur de Questus Investment Fond, qui a rassemblé les compagnies ci-dessus mentionnées. [4]
On voit donc que Borislav Škegro, l'homme qui visite les églises, n'a pas trop pâtit de la brutale privatisation qu'il a lui-même menée à la fin des années 90. A la tête de ses fonds d'investissement et assis sur un confortable matelas financier, il n'y a pas de raison pour que les médias lui résistent ni pour que la Premier ministre Jadranka Kosor ne nourrisse pas le plus grand respect envers chacune de ses nouvelles décisions.
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[1] Croatie : le gouvernement fait la chasse au Feral Tribune, http://www.lesoir.be/, le 3 mai 1997.
[2] Les Balkans vantent leur charme. Les pays de l'ex-Yougoslavie veulent attirer les investisseurs, http://www.liberation.fr/, le 16 avril 1997.
[3] Februarska čištka (Nettoyage de février), http://www.nin.co.rs/, le 13 janvier 2000. "Najozloglašeniji ministar vlade premijera u ostavci Zlatka Mateše bio je ministar finansija Borislav Škegro. U kućnom, hrvatskom krugu ostao je zapamćen po drakonskim porezima i iskrenim željama građana da "gori u paklu u najstrašnijim mukama". Posle ovih izbora, Škegro nije ni ušao u parlament, a momentalno obilazi crkvu Sv. Petra u Vatikanu u zagonetnoj poseti papinskoj državi u koju ga niko nije zvao, niti ga je neko iz bivše ili sadašnje vlasti tamo poslao."
[4] Marat Terterov, Višnja Bojanić, Doing Business with Croatia, GMB Publishing Ltd, 2005, p 169. "Treća sreća (Third time is the Charm) is the consortium consisting of the Swedish operator Tele2 and nine Croatian companies - Dalekovod (construction ingineering), Jamnica (beverage industry), FIMA Holding (investment holding company), Croatia osiguranje (the largest insurance company), Nexe grupa (construction materials company), Konstruktor-inženjering (construction company), Lura (dairy industry), Institut građevinarstva Hrvatske (Institute for Construction) and Privredna banka Zagreb (the second largest Croatian bank). The head of Treća sreća consortium is Borislav Škegro, former Minister of Finance, and the director of Questus Investment Fund, who gathered thogether the aforementioned Croatian companies."