Le réalisateur, Christian Poveda, fut assassiné dans des circonstances peu claires, bien qu'ayant obtenu l'autorisation de filmer par les reponsables de l'un des gangs rivaux de la
capitale.
Comme le dit l'un des responsables lors d'un tabassage en règle d'une nouvelle recrue servant de rite d'initiation permettant d'être admis dans la "confrérie", il n'y a pas de retour en arrière
possible une fois que l'on a été intégré. Si l'on souhaitait quitter le groupe, les tatouages, omniprésents, sur toutes les parties du corps (et même sur le visage), sont là pour rappeler aux
éventuels "déserteurs" que l'on est condamné à obéir aux chefs pour toujours, à servir de chair à canon taillable et corvéable à merci. Les filles aussi, sorte de chair à sexe et
"reproductrices" plus ou moins consentantes sont tatouées comme l'est le bétail pour permettre à un propriétaire de reconnaître son troupeau, et victimes des tueurs au même titre
que les garçons.
Concernant les tatouages, je n'ai pu m'empêcher de penser à ce que dit Levi-Strauss, dans Tristes tropiques, des motifs que les indigènes du Brésil qu'il étudie se dessinent sur la peau.
Selon lui, en leur complexité, ces arabesques expriment sous une forme mythologique et donc obscure car non dicible, la structure inégalitaire et extrêmement hiérachisée des sociétés indigènes.
Et de fait, au-delà du caractère fasciste et inégalitaire des sociétés mafieuses en général, on est en droit de se demander si ces franges marginales des populations d'amérique latine ne sont
pas en train de se réfugier inconsciemment dans des valeurs oubliées de leur culture d'origine précolombienne. Dans cette hypothèse, les crimes et les morts ponctuant le film
seraient autant de survivances de rites où une caste de prêtres pratiquait des sacrifices humains pratiqués chez les Aztèques, les Incas et les Mayas et ayant servi de prétexte
aux conquistadors pour leur entreprise génocidaire et à tous les colonisateurs en général pour justifier les ethnocides dont ont été victimes les indigènes colonisés. L'oeuvre que les
espagnols n'avaient pu terminé, la mondialisation actuelle, avec toutes les bonnes intentions du monde parfois, est en train de la parachever.
Lors des enterrements de camarades assasinés, ce ne sont pas les prières et les psaumes du pasteur qui sont repris en choeur, mais une sorte d'hymne interne au clan semble-t-il, scandé par
tous sous une forme chantée, comme s'il s'agissait d'un "Je vous salue Marie" païen.
Ces desperados de la civilisation moderne (ou victimes du libéralisme, diront ceux qui préfèreront une explication moins anthropologique plus sociologique à l'existence de ces gangs)
sont filmés à la fois avec empathie mais sans aucune complaisance envers leur "monstruosité" et leur "barbarie". C'est ce qui fait la force du film, mais c'est peut-être celà qui a causé la
perte du réalisateur.
Les filles, bien que criminelles dangereuses elles aussi, paraissent émouvantes lorsqu'on les voit câliner leurs enfants, s'inquiéter d'abord, lors de leur arrestation, de confier
leur bébé à quelqu'un. L'une d'entre-elles, qui finira sous les balles du gang rival, qui fut défigurée par une balle perdue lors d'une rixe à laquelle elle participait peut-être,
consulte un ophtalmo, se fait poser un oeil de verre, essaie de retrouver figure humaine après son opération en se fardant et en allant chez le coiffeur. Une autre cherche à se construire une
identité en essayant de retrouver sa mère naturelle, qui l'a abandonnée à la naissance.
La police, les juges, et autres membres de l'institution, pas vraiment convaincus de leur efficacité, essaient bien de sermoner ou de faire peur à ces jeunes, mais rien ne semble
avoir d'effet sur eux.
Un pasteur évangéliste local, assisté de ses mentors nord-américains venus assister à une séance d'admonestation solennelle organisée dans la cour d'une prison à laquelle sont obligés
de participer un groupe de détenus adolescents visiblement insensibles aux sermons, tente bien de menacer ces délinquants de l'enfer qui les attend et des foudres célestes. Mais l'orateur
se heurte à l'indifférence, parfois aux ricanements non dissimulés de son auditoire. Et pourtant, ces tueurs ne renoncent ni à Satan ni aux rites de l'église catholique, en se faisant enterrer
religieusement, lors de cérémonies surréalistes où les "formes" sont plus ou moins respectées, bien que trangressées on l'a vu par la scansion finale d'un couplet impie dans lequel
on promet vengeance au défunt, au nom du gang...
Bref, un film totalement désespéré et pessimiste. S'il vous reste encore une once de confiance en l'homme, en la capacité de nos institutions démocratiques à contenir la vague de
sauvagerie qui semble déferler aux marges de notre société et menace de submerger totalement notre civilisation, n'allez surtout pas voir La vida loca. sinon, vous risquez de vous replier un
peu plus sur la culture de votre jardin
jcf, le 16 Novembre 2009 à 13:15