La porte extérieure de la maison est une porte à deux battants : aussi a-t-elle deux dieux, afin que chaque battant porte une image particulière, car, s’il n’ y avait qu’un seul dieu dont l’image occupât le milieu de la porte, il se trouverait représenté par moitié sur chaque battant et serait coupé en deux au moment où on ouvrirait la porte.
Ce sont généralement aujourd’hui Qin Shubao et Hu Jingde, deux généraux de l’empereur Taizong des Tang, qui remplissent ce rôle ; il ont pris la place de Shentu et Yulü, les deux dieux des portes dans l’antiquité et jusque vers le XIIIe et le XIVe siècle. Ceux -ci étaient proprement les gardiens de la porte par laquelle les revenants sortent du monde des morts pour aller errer sur terre parmi les hommes, à l’extrémité nord-est du monde ; d’après le Livre des Monts et des Mers (Shanhaijing), petit recueil d’ouvrages de géographie mythologique qui furent composés vers le IVe et le IIIe siècle avant notre ère, ils se tiennent là sur une montagne, au pied du pêcher colossal, au tronc ayant trois mille li (environ 1200 mètres) de tour, dans les branches duquel s’ouvre la Porte des Revenants, et ils saisissent avec des cordes de jonc les revenants malfaisants qu’ils jettent en pâture aux tigres ; c’est le mythique Empereur Jaune, Huangdi, qui eut l’idée de suspendre sur les portes leur effigie en bois de pêcher ainsi que des images de tigres pour chasser les esprits mauvais. A cette époque, les images de ces dieux se plaçaient sur les portes intérieures, tandis qu’on plaçait l’image des tigres sur les portes extérieures des maisons, et cette habitude durait encore au siècle qui suivit l’ère chrétienne ; mais plus tard, vers le XIIe siècle de notre ère, au temps des Song, on plaçait leur image sur chacun des battants de la grande porte extérieure. Ils n’ont d’ailleurs pas entièrement disparu : au Sichuan, ils sont spécialement les dieux des portes du temps de deuil ; dès qu’une person ne de la maison est morte, on gratte soigneusement les images des dieux des portes ordinaires, et on colle sur les deux battants de la porte d’entrée les quatre caractères de leurs noms.
Leurs remplaçants modernes sont des personnages historiques qui remplirent de hautes fonctions militaires à la cour de la dynastie Tang, au début du VIIe siècle. On raconte que l’empe reur Taizong, ayant entendu une nuit un démon faire du bruit à la porte de ses appartements dans le palais, en lançant des briques et des tuiles, tomba gravement malade. Les deux généraux Qin Shubao et Hu Jingde lui proposèrent de monter la garde à la porte ; ils firent ainsi plusieurs nuits de suite, et le démon n’osa plus approcher, si bien que l’Empereur guérit. Il fit alors peindre les por traits de chacun de ses deux généraux en armes et en fit coller un sur chaque battant de la porte d’entrée ; le démon n’osa pas davantage venir, et l’Empereur put dormir en paix. Mais, quelque temps après, le vacarme reprit à la petite porte de derrière, une porte à un seul battant. Cette fois ce fut Wei Cheng qui monta la garde et chassa le revenant.
Aujourd’hui, les deux généraux sont reproduits à profusion : on les peint en pied sur les portes des bâtiments publics, des temples (sauf les temples bouddhiques, qui ont leurs dieux des portes spéciaux), des palais, des maisons particulières. Les gens du peuple se contentent de coller sur chaque battant de la grande porte de leur maison une image grossière tirée en couleurs. Ils sont presque toujours figurés en costume militaire, casqués et revêtus d’une armure complète, avec les petits drapeaux sur les épaules qui étaient l’insigne du rang avant la dynastie mandchoue, armés d’un sabre et d’une hallebarde, et, pour effrayer encore davantage les démons, on leur donne des figures féroces avec de grandes barbes ; d’autres fois, mais plus rarement, ils sont en costume de mandarins civils. On place parfois aussi l’image de Wei Cheng sur la porte de derrière à un seul battant, mais cet usage est bien moins fréquent. On ne rend pas, à l’ordi naire, de culte aux dieux des portes ; on accroche leur image, et c’est tout. Ils sont pourtant des dieux vigilants, et c’est grâce à eux que les mauvais esprits n’entrent pas dans les maisons. Bien des contes les montrent dans leur rôle de gardiens. Autrefois, à Hangzhou, un esclave d’une famille riche avait l’habitude de sortir la nuit pour s’enivrer. Un soir son maître entendit un grand bruit devant la porte et, s’approchant, trouva l’esclave inanimé. Il le fit relever et porter sur son lit, mais il mourut presque aussitôt.
Avant de mourir, il eut le temps de raconter qu’il avait été assailli par l’ombre de sa belle-soeur, morte depuis longtemps, qui, tenant sa tête à la main, l’avait attaqué par vengeance ; jadis, en effet, étant tout jeune, il avait aidé son frère à tuer sa femme surprise avec un amant. La morte l’avait, lui avait -elle dit, guetté longtemps, accompagnée de l’ombre de son amant, mais toujours les dieux de la porte l’avaient empêchée d’entrer ; ce soir-là, l’ayant saisi en dehors, elle en avait profité. Il faut, du reste, les images des dieux, et de simples inscriptions ne suffisent pas.
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