"La Graine et le mulet" : Pagnol sur méditerranée

Par Vierasouto

Sur les chantiers navals Sétois, Slimane, travailleur sexagénaire, est poussé vers la sortie à cause de son âge. Séparé de son épouse, il vit dans une modeste chambre à l’hôtel d’Orient avec la propriétaire des lieux, sa nouvelle compagne et sa belle-fille. Mais cette situation de famille recomposée est difficilement compatible avec l’esprit de famille méditerranéen où on forme une sorte de clan et les enfants de Slimane, pourtant tous adultes, ont du mal à la digérer.
Je viens d’écouter tout à l’heure "Le Cercle" sur Canal + avec sa tablée de critiques ciné, l’un d’eux a dit en parlant de "24 mesures" de Jalil Lespert (sorti mercredi dernier) que le cinéma français pêchait par ses règlements de compte familiaux avec les parents, ainsi dans "24 Mesures" chaque personnage va crier sa haine ou sa colère à un père ou une mère. Dans le cinéma d’Abdellatif Kechiche et la culture méditerranéenne, c’est exactement le contraire, le film est dédié à son père et dans ses interviews, il se définit par rapport à lui. Le personnage de Slimane est une sorte de héros douloureux et méritant dont tout le monde dépend et que tous respectent.
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Avec ses indemnités de licenciement, Slimane achète un vieux bateau avec le projet d’en faire un restaurant spécialisé dans le couscous au poisson (la graine et le mulet). Le chemin de croix administratif de l’élaboration du dossier de financement est plus vrai que nature : chaque organisme suspendant son autorisation une autre autorisation préalable, les rendez-vous à la banque, à la mairie, etc…. Un ange gardien accompagne Slimane dans ses démarches, sa belle-fille Rym qui force les portes et les obstacles pour lui. Un problème, apparemment surmonté, viendra se greffer au projet : pour le repas d’inauguration, c’est l’ancienne épouse qui cuisinera le couscous... mais de loin… Et on verra que c’est de cette distance que naîtra l’enchaînement des ennuis…

Hafsia Herzi et Habib Boufares

© Pathé Distribution Galerie complète sur AlloCiné


C’est un film très bavard avec des conversations qui s’éternisent comme en temps réel, des repas où on se croirait soi-même invité à table tant c'est vivant, à manger, savourer les plats, à s’interpeller, parler du quotidien, s’interrompre, se fâcher, se réconcilier. Ces échanges Pagnolesques avec des personnages épuisant commérages, potins, médisances et banalités valorisées par leur sens de l’anecdote, aboutit un cinéma du réel coloré et extraverti où le réalisateur nous entraîne. Trop quelquefois ? On dirait bien à certaines femmes de se taire tant elles nous prennent la tête avec leurs diatribes, leurs pleurs, leurs récriminations (scène de la fin avec la belle-fille, par exemple), immergés que nous sommes dans le film, ce n'est pas le personnage qui descend de l'écran, c'est le spectateur qui y pénètre, comme on dit banalement «on s’y croirait» tant ça sonne juste !
La vraie histoire d’amour du film n’est pas celle des couples, les parents ou les enfants, mais celle platonique et tacite de Slimane avec sa belle-fille qui le tient à bout de bras, à la fin du film dans une scène dont on risque de parler longtemps, elle finira par offrir son corps pour tenter de sauver l’entreprise… Mais je ne peux pas en dire plus, il faut voir le film… Hafsia Herzi, L’actrice qui interprète Rym, la belle-fille, est une bombe, une jeune fille superbe, débordant de vitalité et, à l’occasion d’une sensualité torride, on peut lire ici et là que c’est la révélation du film et c’est exact !
Ce film a été raccourci de 2h55 à 2h35 mais d’aucuns le trouveront tout de même un peu long, produit par Claude Berri, il a obtenu deux prix à la Mostra de Venise. Malgré sa vocation populaire affichée, la description quasi photographique de notre société d’aujourd’hui métissée avec ses préjugés et ses a priori (les commentaires des uns et des autres dans des conversations banales servant finement à dénoncer les problèmes d’intégration ou les clichés), il est fort à craindre que ce film séduira plutôt les cinéphiles. Le réalisateur regrettait dans une interview que son précédent film "L’Esquive" ait été diffusé dans des circuits d’art et d’essai, prisé d’un public averti cinéphile. Le cinéma du réel ne fait pas rêver, le grand public ne va pas au cinéma pour voir le miroir de la société, conditionné par des films commerciaux formatés genre "Pirate des Caraïbes" ou "Harry Potter" destinés surtout à vendre leur camelote de produits dérivés, cahiers et casquettes. Glauber Rocha, cinéaste brésilien qui a mis en scène la cause de son peuple tout au long de son oeuvre, en a fait les frais, le grand regret de sa vie a été que le public populaire n’ait jamais eu envie de voir ses films qui leur était pourtant destinés, leur préférant des séries américaines… Ce soir, en avant-première organisée par Télérama, la salle n’était pas pleine, ce qui est rare pour ce genre de soirées, heureusement, le film sort demain avec peu de films excitants à l’affiche hormis le dernier Park Chan-wook, ça lui donne une chance de se faire une place... Car il y a beaucoup d’émotion et de rires et du film d’auteur, il y a surtout la qualité.

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