1874. L’esclavage a été aboli en 1865 au sortir de la guerre de Sécession, mais les blessures de la servitude ne semblent pas prêtes à s’effacer. Entre les atrocités commises par le Ku Klux Klan et la ségrégation, sans parler des souvenirs de leur asservissement, les Afro-américains luttent pour s’en sortir. Il faudra pourtant attendre les réformes de 1964 et 1965 pour que la ségrégation soit abolie.
Ancienne esclave, Sethe vit avec Denver, sa fille adolescente dans une maison hantée par l’esprit de son bébé qu’elle a assassiné pour lui éviter de connaître l’esclavage…En effet, en 1856, Sethe a durement conquis sa liberté en fuyant sa plantation, le dos lacéré, à terme,…
Ce récit est dur, de plusieurs façons. D’une part, il est assez dur à suivre, au début tout du moins. Toni Morrison exerce un va-et-vient constant entre le présent et le passé, parfois sans transition, et dit les choses à demi-mots à grand renfort de métaphores…le reste, c’est au lecteur de le deviner ou de se le figurer. C’est peut-être ce qui contribue à faire de ce livre une histoire aussi forte. D’autre part, évidemment, le thème est lui aussi très dur. C’est toute l’horreur de l’esclavage qui est ici dépeinte : des familles séparées, des femmes violées, battues, des hommes traités comme des animaux. Sethe n’a jamais vraiment connu sa mère, qui a été pendue, mariée à treize ans, pour ainsi dire veuve à dix-neuf ans, elle a vécu dans la servitude, dans la crainte que ces enfants soient vendus, elle a été battue, obligée à se prostituer, humiliée. Toni Morrison peint avec minutie et pudeur un peuple qui souffre, trop opprimé pour se laisser aller à avoir des projets ou aimer. C’est toute la réalité de l’époque qui nous apparait.
Comme je le disais plus haut, le style de Toni Morrison est bâti à base de métaphores, ce qui donne une certaine poésie au texte, tout en le rendant assez hermétique. Le lecteur peut parfois se perdre, et il ne faut pas qu’il s’attende à ce qu’on lui dise les choses de but en blanc. Si le résumé nous apprend que la base du roman est un infanticide, on ignore tout des circonstances exactes du meurtre, qui nous sont révélées par bribes.
Sethe est un personnage de femme forte, mais évidemment, il y a des limites. Avec tout ce qu’elle a enduré, qu’elle finisse brisée n’étonnera personne. L’espoir semble néanmoins se manifester à la fin en la personne de Denver qui s’ouvre au monde. Tous les regrets et la culpabilité de Sethe s’incarnent en Beloved et son fantôme, une autre métaphore montrant comment ces sentiments peuvent détruire une personne. Bien que le geste de Sethe ai été atroce, on peut malheureusement le comprendre. L’horreur même de ce geste montre la barbarie de l’esclavage.
On se prend bien à ce livre, qui se lit facilement malgré son aspect dur. Toni Morrison, monument de la littérature afro-américaine, a reçu le prix Pulitzer pour Beloved, mais également le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre.Au cinéma, Sethe a été interprétée par Oprah Winfrey.