“Je regarde Al-Aqsa et je vous appelle à en faire autant !” dit le slogan qui accompagne le logo d’Al-Aqsa, une chaîne créée par le Hamas en 2004. Cela ne va pas être facile pour le téléspectateur européen. Le 16 juin, le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), soutenu par la Commission européenne ou bien à sa demande selon les versions (dépêche Reuters), a en effet appelé l’opérateur satellite européen Eutelsat à retirer de son offre Al-Aqsa, proposée par un diffuseur présent à Bahreïn, Noorsat.
Pour les Européens et les Français, il s’agit de faire appliquer la loi qui interdit explicitement l’incitation à la violence et à la haine, ce qui serait le cas de nombre de programmes d’Al-Aqsa. Parmi ceux qui ont été incriminés, soigneusement “monitorés” par des organismes tels que le MEMRI, figure semble-t-il un dessin animé pour enfants, qui “détourne” le personnage de Mickey pour en faire un héros de la résistance palestinienne (la souris en question finit par mourir sous les coups des forces israéliennes : voir ce billet). La chaîne ayant fait appel (le 18 juin ?), elle aurait bénéficié d’un délai de deux jours selon un article dans Al-Quds al-’arabi (davantage selon la dépêche Reuters déjà citée).
Ce n’est pas la première fois que le CSA appelle à la fermeture d’Al-Aqsa, et que celle-ci doit faire face à des tentatives pour la faire taire. En janvier 2009 et à l’incitation du Centre Simon Wiesenthal, le CSA avait déjà adressé la même demande. Une demande qui tombait mal, ou à point nommé selon les points de vue, puisque les bâtiments d’Al-Aqsa venaient d’être bombardés par l’aviation israélienne aux premiers jours de son attaque contre la bande de Gaza, ce qui n’avait pas suffi pour stopper ses émissions, poursuivies depuis une unité mobile (que l’aviation israélienne n’arrivait pas à faire taire, tout comme elle n’avait pu le faire avec Al-Manar, la chaîne du Hezbollah, durant la guerre de l’été 2006 – elle aussi interdite par le CSA…).
Peu commentée en France, cette décision a en revanche fait des vagues dans le monde arabe. Alors que certains médias plutôt pro-américains présentaient l’affaire de façon assez neutre (voir cet article en arabe sur Al-Arabiya par exemple), Al-Quds al-’arabi a publié, le jeudi 17 juin, un éditorial, signé par Abdel-Bari Atouane (عبد الباري عطوان), qui donne le ton d’une partie de l’opinion. Ci-dessous l’essentiel de son argumentaire (c’est une synthèse, et non pas une traduction littérale) pour ceux qui ne peuvent pas profiter de l’original (accessible ici) :
L’interdiction de la chaîne Al-Aqsa à la demande des gouvernements européens et de celui de la France en particulier met en évidence l’influence d’Israël et le caractère fallacieux de leurs belles paroles sur la liberté d’expression. Et ce n’est pas la première fois : il y avait déjà eu [en décembre 2004] l’interdiction de la chaîne du Hezbollah, Al-Manar, et celle de journaux irakiens et arabes lors de la première guerre du Golfe en 1990. Certes, Al-Aqsa n’est pas la BBC, mais elle n’est pas pire que FoxNews. Elle parle au nom d’un gouvernement élu (alors que la France accueille sur son sol des mouvements qui contestent les autorités légitimes du Darfour, tout comme elle l’avait déjà fait dans le cas de l’Irlande et avant cela pour l’Iran au temps de Khomeiny).
Au temps de la France libre, la Résistance n’avait-elle pas des émissions de radio ? On l’accuse de diffuser une émission pour enfants avec un Mickey qui appelle à la résistance : peut-on attendre autre chose d’un pays soumis à un tel blocus depuis quatre ans ? On attendrait plutôt du gouvernement français qu’il interdise les médias de l’Etat qui viole toutes les règles du droit international. Un gouvernement qui fait semblant d’oublier l’utilisation de passeports français par le Mossad lors de l’assassinat d’al-Mabhouh [le cadre du Hamas assassiné à Dubaï en janvier dernier]. Si l’on comprend bien, les victimes devraient accepter les bombes qui déchiquètent leurs enfants et s’abstenir d’appeler à la résistance ?!!!
Une telle absence de compassion pour la population de Gaza peut difficilement se comprendre après tous ces discours dans les médias il y a quelque temps sur les malheureux passagers Européens bloqués dans les aéroports par le nuage de cendre… Pourquoi interdire une station qui n’est pas un danger pour la France puisqu’elle ne s’adresse même pas à ce public étant intégralement en arabe ? Parce qu’elle incite à la violence ? La résistance est donc devenue de l’extrémisme ?!
L’alignement pro-israélien de la France lui fait perdre sa crédibilité dans le monde arabe. Les responsables français feraient mieux de méditer les déclarations du chef du Mossad, ou celle du chef des forces américaines en Afghanistan, le général McChrystal, quand ils parlent d’Israël devenu un fardeau moral et sécuritaire pour l’Occident.
Cette décision à courte-vue ne sert qu’à renforcer Israël dans sa politique d’intimidation brutale.