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Guerre des juges autour de la QPC : la Cour de Luxembourg renvoie la balle à la Cour de cassation… (CJUE, 22 juin 2010, Aziz Melki et Sélim Abdeli)

Publié le 22 juin 2010 par Combatsdh

… pour qu’elle applique la décision du Conseil constitutionnel “jeux de hasard”

et déclare contraire au droit communautaire les contrôles d’identité de la bande des 20 km (article 78-2 CPP)

par Serge Slama

Compte tenu de son importance dans la “guerre des juges” que mènent la Cour de cassation versus le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat sur le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité nous publions le communiqué de presse que vient de rendre public la Cour de justice de l’Union européenne sur les questions préjudicielles posées par la Cour de cassation le 16 avril 2010 dans les affaire Melki et Abdeli (CPDH 22 avril 2010) qui présente un double intérêt:

- sur la conformité du caractère prioritaire de la question de constitutionnalité au regard du droit communautaire la réponse est : qu’il appartient à…  la Cour de cassation de vérifier si la législation nationale peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union sachant que le droit de l’UE ne s’oppose pas à une législation nationale qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, “pour autant que les autres juridictions nationales restent libres de saisir la Cour, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité; d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union” - c’est-à-dire exactement ce que n’avait pas prévu le législateur organique et ce qu’ont récemment admis, sous la pression de cette question préjudicielle, le Conseil constitutionnel dans “Jeux de hasard” et le Conseil d’Etat dans “Rujovic” et “Diakité” (CC n° 2010-605 DC du 12 mai 2010; CE 14 mai 2010, n° 312305, au Lebon. Voir CPDH 20 mai 2010 et CPDH 21 juin 2010 ).

-  sur la bande des 20 km, sans s’opposer au principe des contrôles aux frontières, la Cour de Luxembourg l’estime contraire au droit communautaire dans la mesure où “l’objectif de ces contrôles [d’identité généralisé de l’article 78-2 alina 4 du CPP] n’est pas le même que celui des contrôles aux frontières qui visent d’une part, à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire d’un État membre ou à le quitter et, d’autre part, à empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières“. Le fait que le champ d’application territorial des contrôles d’identité soit limité à une zone frontalière ne suffit pas, à lui seul, pour constater son effet équivalent à un contrôle aux frontières. Seuls les contrôles à bord des trains effectuant une liaison internationale et sur une autoroute transfrontière jusqu’au premier péage sont potentiellement conformes au droit communautaire dans la mesure où l’article 78-2 du CPP prévoit des règles particulières relatives à son champ d’application territorial, indice pour l’existence d’un tel effet équivalent. Comme le Conseil constitutionnel en 1993, la Cour note que l’article 78-2 du CPP qui prévoit des contrôles indépendamment du comportement de la personne concernée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public “ne contient ni précisions ni limitations de la compétence accordée, notamment concernant l’intensité et la fréquence des contrôles pouvant être effectués” - ce qui le rend contraire au droit de l’UE au regard notamment de l’article 67§2 du TFUE et du Code frontière Schengen interprété au regard de l’exigence de sécurité juridique.

Au bilan, l’article 78-2 alinéa 4 du CPP est contraire au droit communautaire car il confère aux autorités de police française  la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de sa frontière terrestre, l’identité de toute personne afin de vérifier qu’elle respecte les obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévus par la loi, sans garantir, à défaut d’encadrement nécessaire, que l’exercice pratique de cette compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

Amis avocats en droit des étrangers, voici un moyen de faire libérer devant le JLD tous vos clients qui auraient été contrôlés dans la bande des 20 km sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 4 en invoquant principalement l’article 20 et 21 du CFS !!!

Me Boucq, l’avocat lillois de MM Melki et Abdeli va pouvoir introduire une demande indemnitaire pour privation arbitraire de liberté par la rétention administrative de ses clients pendant, selon toute vraisemblance, 32 jours dans la mesure où leur interpellation dans la bande des 20 km était illégale…

(NB : j’ai toujours expliqué à mes étudiants en Libertés fondamentales que cette disposition était inconventionnelle)

Cour de justice de l’Union européenne
COMMUNIQUE DE PRESSE n° 59/10
Luxembourg, le 22 juin 2010
Presse et Information
Arrêt dans les affaires jointes C-188/10 et C-189/10
Aziz Melki et Sélim Abdeli

Les autorités de police d’un État membre, participant à l’acquis de Schengen, peuvent être investies d’une compétence de contrôle d’identité dans une zone de 20 km en deçà de sa frontière
Cependant l’application de cette compétence doit être encadrée pour éviter que l’exercice de ces contrôles d’identité n’ait un effet équivalent à celui des contrôles aux frontières
MM.Melki et Abdeli sont tous deux ressortissants algériens, en situation irrégulière en France. Ils ont été contrôlés par la police française en application du code de procédure pénale (Article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale), dans la zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec la Belgique et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà de cette frontière. Le 23 mars 2010, ils ont, chacun, fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et d’une décision de maintien en rétention administrative.
Devant le juge des libertés et de la détention, saisi par le préfet d’une demande de prolongation de leur rétention, MM.Melki et Abdeli ont contesté la régularité de leur interpellation et soulevé l’inconstitutionnalité de la disposition du code de procédure pénale. Ils soutiennent que cette disposition porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution française en ce qu’elle est contraire au principe de la libre circulation des personnes, et notamment à la règle que l’Union européenne assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures.
Conformément au mécanisme procédural instauré récemment en France, dit « question prioritaire de constitutionnalité », le juge des libertés et de la détention a transmis la question soulevée par MM.Melki et Abdeli portant sur la constitutionnalité de la disposition du code de procédure pénale à la Cour de cassation (France), qui doit statuer sur le renvoi de ladite question au Conseil constitutionnel français.
La Cour de cassation interroge premièrement la Cour sur la compatibilité de ce mécanisme procédural avec le droit de l’Union. En effet, pour assurer une application effective et homogène de la législation de l’Union, les juridictions nationales peuvent, et parfois doivent, se tourner vers la Cour pour lui demander de préciser un point d’interprétation du droit de l’Union, afin de leur permettre, par exemple, de vérifier la conformité avec ce droit de leur législation nationale2. La Cour de cassation considère que les juridictions nationales, tout comme elle-même, seraient privées, par le mécanisme de « question prioritaire de constitutionnalité », de la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, les décisions du Conseil constitutionnel n’étant susceptibles d’aucun recours et s’imposant à toutes les autorités juridictionnelles.
Deuxièmement, la Cour de cassation cherche à savoir si le droit de l’Union qui prévoit l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures s’oppose à la législation française qui permet aux autorités de police de contrôler, dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS), l’identité de toute personne.
Sur la première question, la Cour rappelle que, afin d’assurer la primauté du droit de l’Union, le fonctionnement du système de coopération entre elle-même et les juridictions nationales nécessite que le juge national soit libre de saisir, à tout moment de la procédure qu’il juge approprié, et même à l’issue d’une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité, la Cour de justice de toute question préjudicielle qu’il juge nécessaire.

Dès lors, la Cour répond que l’article 267 TFUE ne s’oppose pas à une législation nationale qui instaure une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité des lois nationales, pour autant que les autres juridictions nationales restent libres :

  • de saisir la Cour, à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié, et même à l’issue de la procédure incidente de contrôle de constitutionnalité,
  • d’adopter toute mesure nécessaire afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, et
  • de laisser inappliquée, à l’issue d’une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l’Union.

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la législation nationale peut être interprétée conformément à ces exigences du droit de l’Union.

Sur la deuxième question, la Cour rappelle que le législateur communautaire a mis en oeuvre le principe de l’absence de contrôle aux frontières intérieures en adoptant en 2006 un règlement, dit « code frontières Schengen » (Règlement (CE) n°562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p.1), qui vise à développer l’acquis de Schengen.
Ce règlement prévoit, d’une part, la suppression des contrôles aux frontières intérieures et, d’autre part, que cette suppression ne porte pas atteinte à l’exercice des compétences de police à l’intérieur du territoire d’un État membre dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.
S’agissant des contrôles d’identité autorisés par la législation française, la Cour constate qu’ils ne sont pas effectués « aux frontières » mais à l’intérieur du territoire national et qu’ils sont indépendants du franchissement de la frontière par la personne contrôlée. En particulier, ils ne sont donc pas effectués au moment du franchissement de la frontière. Ils ne constituent donc pas des contrôles aux frontières.
La Cour relève que l’objectif de ces contrôles n’est pas le même que celui des contrôles aux frontières qui visent d’une part, à s’assurer que les personnes peuvent être autorisées à entrer sur le territoire d’un État membre ou à le quitter et, d’autre part, à empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières. En revanche, la disposition nationale contestée vise à vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévus par la loi française. Or, la possibilité pour un État membre de prévoir de telles obligations dans son droit national n’est pas, en vertu du règlement de 2006, affecté par la suppression du contrôle aux frontières intérieures.
En outre, le fait que le champ d’application territorial des contrôles d’identité soit limité à une zone frontalière ne suffit pas, à lui seul, pour constater son effet équivalent à un contrôle aux frontières.
Toutefois, s’agissant des contrôles à bord d’un train effectuant une liaison internationale et sur une autoroute à péage, la disposition nationale prévoit des règles particulières relatives à son champ d’application territorial. Cet élément pourrait, quant à lui, constituer un indice pour l’existence d’un tel effet équivalent. En outre, la disposition nationale autorisant des contrôles indépendamment du comportement de la personne concernée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public ne contient ni précisions ni limitations de la compétence accordée, notamment concernant l’intensité et la fréquence des contrôles pouvant être effectués.
Dans ces conditions, le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de sa frontière terrestre, l’identité de toute personne afin de vérifier qu’elle respecte les obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévus par la loi, sans garantir, à défaut d’encadrement nécessaire, que l’exercice pratique de cette compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

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CJUE, 22 juin 2010, C-188/10  et C-189/10, Aziz Melki et Sélim Abdeli

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Code frontières Schengen

FRONTIÈRES INTÉRIEURES

CHAPITRE I

Suppression du contrôle aux frontières intérieures

Article 20

Franchissement des frontières intérieures

Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité.

Article 21

Vérifications à l’intérieur du territoire

La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte:

a) à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police:

i) n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières;

ii) sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière;

iii) sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures;

iv) sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste;

b) à l’exercice des contrôles de sûreté dans les ports ou aéroports, effectués sur les personnes par les autorités compétentes en vertu du droit de chaque État membre, par les responsables portuaires ou aéroportuaires ou par les transporteurs pour autant que ces contrôles soient également effectués sur les personnes voyageant à l’intérieur d’un État membre;

c) à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents;

d) à l’obligation des ressortissants de pays tiers de signaler leur présence sur le territoire d’un État membre conformément aux dispositions de l’article 22 de la convention d’application de l’accord de Schengen.

extrait de la décision:

“73 (…) l’article 78-2, quatrième alinéa, du code de procédure pénale, qui autorise des contrôles indépendamment du comportement de la personne concernée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, ne contient ni précisions ni limitations de la compétence ainsi accordée, notamment relatives à l’intensité et à la fréquence des contrôles pouvant être effectués sur cette base juridique, ayant pour objet d’éviter que l’application pratique de cette compétence par les autorités compétentes aboutisse à des contrôles ayant un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens de l’article 21, sous a), du règlement n° 562/2006.

74 Afin de satisfaire aux articles 20 et 21, sous a), du règlement n° 562/2006, interprétés à la lumière de l’exigence de sécurité juridique, une législation nationale conférant une compétence aux autorités de police pour effectuer des contrôles d’identité, compétence qui est, d’une part, limitée à la zone frontalière de l’État membre avec d’autres États membres et, d’autre part, indépendante du comportement de la personne contrôlée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, doit prévoir l’encadrement nécessaire de la compétence conférée à ces autorités afin, notamment, de guider le pouvoir d’appréciation dont disposent ces dernières dans l’application pratique de ladite compétence. Cet encadrement doit garantir que l’exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d’identité ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, tel qu’il ressort, en particulier, des circonstances figurant à la seconde phrase de l’article 21, sous a), du règlement n° 562/2006.

75 Dans ces conditions, il convient de répondre à la seconde question posée que l’article 67, paragraphe 2, TFUE ainsi que les articles 20 et 21 du règlement n° 562/2006 s’opposent à une législation nationale conférant aux autorités de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de cet État avec les États parties à la CAAS, l’identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi, sans prévoir l’encadrement nécessaire de cette compétence garantissant que l’exercice pratique de ladite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.”


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LES COMMENTAIRES (1)

Par tiber24
posté le 29 juillet à 13:17
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oui enfin si la police ne peut plus controler elle ne peut plus assurer l ordre public

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