Le point d'interrogation s'impose. Car si l'Allemagne passe aux yeux de certains pour être la vitrine du libéralisme, elle garde les stigmates de l'Etat Providence mis en place par les sociaux-démocrates. C'est le « modèle rhénan ».
Certes la social-démocratie allemande, de droite (CDU) ou de gauche (SPD) n'est pas le socialisme à la française : dans la célèbre charte de Bad-Godesberg les socialistes allemands ont fait le choix définitif de l'économie de libre entreprise et de libre échange.
Dans leur grande majorité, les Allemands ont compris que les déficits ne relançaient pas l'économie, que c'est du coté de l'offre, de l'investissement, de la compétitivité des entreprises que serait la solution. La priorité donnée à l'exportation oblige l'Allemagne à ne pas sombrer dans le laxisme de l'Europe du Sud. Voilà pourquoi elle semble donner des leçons de rigueur aux autres pays. Mais d'une part cette rigueur est relative, d'autre part elle est peut-être remise en cause avec les hausses d'impôts prévues par le budget 2011.
Le miracle allemand : stabilité et liberté
Les pays du « Club-Med » ne se privent pas de critiquer la politique allemande, et Madame Lagarde ne perd pas une occasion de dire tout le mal qu'elle en pense. Les cigales n'ont jamais aimé les fourmis.
Ces critiques ignorent sans doute les origines du « miracle allemand » et de ses deux piliers : rigueur monétaire et liberté. Ainsi certains commentateurs ont-ils ces jours-ci dénoncé la « névrose » allemande vis-à-vis de l'inflation. Mais les Allemands savent à quel désastre l'inflation des années 20 les a conduits ; car Hitler a su s'appuyer sur ce drame économique pour conquérir le pouvoir. L'inflation nourrit l'irresponsabilité et le mensonge : tout explose. La priorité allemande donnée à la lutte contre l'inflation n'est donc pas une névrose, mais bien le fruit d'une expérience douloureuse. Rien de solide ne se construit sur le sable de l'inflation. Cette leçon, les Allemands avaient su l'apprendre à ses partenaires au moment de la création de la BCE, mais elle a été peu a peu oubliée.
Le deuxième pilier de la réussite allemande, c'est la liberté, à commencer par celle des prix. Contre l'avis des autorités d'occupation, Ludwig Erhard, responsable des questions économiques et futur chancelier, avait libéré tous les prix en un week-end : la hausse immédiate stimulait aussitôt l'offre ; la concurrence commençait à jouer et en peu de temps l'inflation en Allemagne, avec des prix libres, était inférieure à celle de la France aux prix contrôlés : la liberté est le chemin de la prospérité. N'oublions pas que même un chancelier social-démocrate comme H. Schmidt, avait su dire aux Allemands que « le profit d'aujourd'hui est l'investissement de demain et l'investissement de demain les emplois d'après-demain ». Quel homme politique français oserait tenir ce langage, pourtant de simple bon sens ?
Une économie tirée par l'exportation
Au moment du premier choc pétrolier (1973) l'Allemagne a su comprendre qu'il fallait y répondre par un surcroit de productivité, en serrant les coûts, de façon à exporter : désormais, l'Allemagne allait devenir championne du monde des exportations, celles-ci tirant la croissance. En France, pas question du moindre effort, revenus et dépenses publiques devaient progresser comme si de rien n'était, partant de l'illusion que la croissance est tirée par la consommation. En fait la croissance a été de plus en plus faible, le chômage de plus en plus élevé, et la France a dû recourir à des dévaluations monétaires successives.
Enfin, en dépit de bien des erreurs, de bien des hésitations, la politique économique allemande a su prendre des décisions courageuses. Même les gouvernements socio-démocrates ont su s'attaquer à certaines causes du chômage, comme des indemnités trop élevées ou des rigidités du marché du travail. Au moment où les budgets commençaient à dériver partout, les pays oubliant les critères de Maastricht, l'Allemagne retournait presque, en 2008, à l'équilibre budgétaire, en dépit du coût de la réunification, puisqu'il fallait porter à bout de bras une Allemagne de l'Est ruinée par 40 ans de communisme. Finalement le chômage diminue en Allemagne, quand il augmente ailleurs en Europe.
L'Allemagne entrainée vers le laxisme général
Tout cela n'exonère pas l'Allemagne de ses faiblesses, qui sont grandes et liées à cette culture sociale-démocrate, qui, sans doute, accepte le marché, mais l'assortit de conditions et de limites, notamment dans la redistribution : l'Etat providence existe en Allemagne comme ailleurs. Les syndicats y sont certes réformistes et discutent avant de se mettre en grève, ce qui en général évite la grève ; mais ils sont puissants et ont un rôle dans la gestion des entreprises. Et surtout, face à la crise de 2008, l'Allemagne n'a pas su résister aux pressions des G7, G8, G20 ou autres, qui lui disaient de mettre fin à l'équilibre budgétaire, d'accroître ses dépenses, pour « relancer l'économie ». L'Allemagne a commis, comme tous les pays, le péché keynésien, même si le sien est comparativement véniel.
Et maintenant ? On attendait beaucoup de la nouvelle coalition entre démocrates-chrétiens (CDU-CSU) et libéraux (FDP). Le programme électoral n'était certes pas vraiment libéral, mais, face à l'étatisme ambiant en Europe, il nous paraissait presque acceptable, les promesses de baisses d'impôts étant au cœur du dispositif. Puis s'est produite la crise des finances publiques, dont la Grèce était le symbole, mais qui concerne toute la zone euro. Tous ces pays qui ne juraient que par la relance keynésienne pour sauver l'économie, prônent désormais la rigueur et le retour à l'équilibre budgétaire : on brulait ce qu'on avait hier adoré. L'Allemagne a emboité le pas, même si son déficit était moindre.
L'Allemagne commettra-t-elle l'erreur de la hausse des impôts ?
Voilà pourquoi on attendait le projet de budget pour 2011, dont les grandes lignes ont été discutées la semaine dernière par le gouvernement allemand. Il y a de bonnes annonces et les dépenses publiques vont heureusement diminuer : 11,2 milliards d'économies l'an prochain, 80 milliards d'ici à 2014 ; presque tous les secteurs sont concernés, de la défense aux aides sociales, de l'aide aux chômeurs aux primes des fonctionnaires ; encore faudrait-il, pour que ce soit acceptable, privatiser, pour que le privé remplace, à moindre coût, le secteur public. Mais la direction est bonne et c'est d'autant plus nécessaire que l'Allemagne a voté le principe constitutionnel d'un déficit fédéral quasi-nul (0,35% seulement) en 2016.
Mais les moyens choisis sont-ils aussi bons ? C'est là qu'on voit que la constitution peut fixer des règles, mais que les gouvernements disposent. En effet, l'essentiel de la discussion a porté sur les hausses d'impôts, certains CDU rêvant d'augmenter la TVA ou les impôts directs. Les libéraux ont pu empêcher cette dérive. Mais il y aura quand même quelques hausses fiscales : une hausse de la taxe sur le nucléaire (2,3 milliards de plus) et une nouvelle taxe « écologique » sur les avions.
Mais hausse des taux d'imposition n'est pas hausse des recettes : il faut tenir compte de l'évolution de la matière imposable, ce que Jacques Garello a expliqué ici il y a quinze jours sous le titre « baisser les impôts pour réduire les déficits ». C'est l'effet Laffer. Augmenter les impôts décourage l'activité, réduit la matière imposable, donc le montant de l'impôt : plus on augmente le taux de l'impôt, moins il rapporte, ce qui creuse les déficits, il faut donc baisser les impôts pour faire repartir l'économie, grâce aux effets sur l'offre, et le budget lui-même s'en portera mieux. A. Merkel a limité les dégâts, mais, avec quelques nouvelles taxes, le gouvernement risque de mettre le doigt dans un engrenage et d'oublier la courbe de Laffer.
Est-ce de notre part une obsession d'économistes ultralibéraux ? Rappelons un petit exemple simple que nous avons déjà cité ici, à la portée de l'homme politique moyen. C'est Voltaire qui le raconte dans une lettre à l'auteur des éphémérides, l'abbé Baudeau (un physiocrate qui publiait les éphémérides du citoyen avec Dupont de Nemours) : « Pendant l'année 1774, il y avait un impôt considérable, établi sur la marée fraîche. Il n'en vint, le carême, que 153 chariots. Le ministre dont je vous parle (Turgot) diminua l‘impôt de moitié, et cette année 1775, il en est venu 596 chariots ; donc, le roi, sur ce petit objet, a gagné plus du double ; donc le vrai moyen d'enrichir le roi et l'Etat est de diminuer tous les impôts sur la consommation ; et le vrai moyen de tout perdre est de les augmenter ». Voltaire, qui n'entendait rien à l'économie, avait compris ici l'essentiel. Et A. Merkel ? Elle affirme que les hausses d'impôts sont très limitées ; le problème, c'est que, en harmonie avec les promesses électorales, l'économie allemande avait besoin de baisses d'impôts. Encore une occasion de gâchée et il est difficile de se contenter d'observer que les hausses sont moindres qu'ailleurs.
Jean-Yves Naudet