De l'affaire Bettencourt au WoerthGate
La défense d'Eric Woerth repose sur 3 axes : primo, dénoncer un complot. Durant tout le week-end, des responsables du camp présidentiel se sont ainsi succédés pour dénoncer la tentative de déstabilisation dont ferait l'objet le ministre Eric Woerth, alors qu'il dévoilait les contours de la réforme des retraites. Tous ont répété la même défense. L'avocat de Mme Bettencourt, Me Kiejman, a même accusé son confrère Me Mezner d'être le « le cerveau d'un complot organisé de longue date ». «Est-ce que j'ai une tête à couvrir la fraude fiscale ? » s'est encore exclamé Eric Woerth dimanche.
Deuxième axe, louer l'efficacité d'Eric Woerth dans sa lutte contre la fraude fiscale. Dès vendredi matin, François Baroin louait les efforts de son prédécesseur au ministère du Budget dans la lutte contre l'évasion fiscale. Il promettait la prochaine publication d'un rapport sur le sujet. Un milliards d'euros auraient été récupérés. Incroyable !
Troisième et dernier axe, minimaliser la réalité. Où serait le problème ? L'affaire Bettencourt serait une affaire privée; Mme Woerth vit sa vie professionnelle en toute indépendance, et n'a pas besoin du soutien de son mari («Il n'y a aucune confusion d'aucune sorte entre ce que fait mon épouse et ce que je faisais comme ministre du Budget»); les dotations de Mme Bettencourt à des responsables de l'UMP sont tout à fait légales, etc. Bref, il faut normaliser à tous prix ces étranges relations entre le pouvoir et la plus grande fortune française.
Trésorier de l'UMP
Si Eric Woerth était ministre aux Etats-Unis ou eau Royaume Uni, il aurait déjà démissionné. S'il travaillait dans une grande entreprise, il aurait été viré. Les actionnaires n'aiment pas la confusion des genres. Car quel est le problème de fonds ? Personne n'accuse Eric Woerth de malversations. Mais l'information, connue depuis longtemps, que son épouse conseille des fortunes privées quand lui-même oeuvre en tant que trésorier de l'UMP et ministre du Budget, et donc du fisc, était déjà gênante. Qu'on apprenne aujourd'hui que des soupçons d'évasion fiscale se confirment, et la gêne laisse place au trouble.
On se souvient d'Eric Woerth, alors simple trésorier de l'UMP, se rendant en Suisse en mars 2007 démarcher quelques généreux donateurs, sans regarder si ces citoyens français, exilés en Suisse, sans se soucier de situation fiscale. En mai 2007, les membres du comité UMP Suisse s'affichaient célébrant la victoire de leur candidat. A l'époque, la délégation suisse de l'UMP était la plus importante hors de France, avec quelques 150 000 inscrits, dont 70 000 à Genève. On se souvient aussi des dîners à l'hôtel Bristol, en face du Palais de l'Elysée, où Nicolas Sarkozy président venait remercier les gros donateurs privés de l'UMP. Ces rencontres étaient organisées par Eric Woerth. Interpelé en décembre dernier à l'Assemblée nationale, Eric Woerth n'y voyait aucun problème de conscience : «il n’y a aucune incompatibilité entre la fonction de trésorier d’un parti politique et la fonction de membre du gouvernement». Celui qui est en capacité de diriger des contrôles fiscaux gère les comptes (et les donations) du parti politique du Président. La confusion des genres est à son maximum.
Lundi, Mediapart revenait à la charge. Et la charge est rude, claire et évidente : «L'affaire Bettencourt est une affaire d'Etat. Les enregistrements clandestins réalisés par le maître d'hôtel de Liliane Bettencourt posent des questions démocratiques qui légitiment, au nom du droit à l'information du public, leur divulgation. Ils dévoilent la nature des relations entretenues par les responsables du pays avec l'une des principales fortunes mondiales ». Le site d'information rappelle que Florence Woerth est entrée au service de Liliane Bettencourt plusieurs mois après l'élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République. Il a surtout mis en ligne quelques-uns des enregistrements pirates des conversation entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune, où l'on entend ce dernier témoigner de l'attention présidentielle sur leur affaire et des contacts hauts placés qu'il a eu à l'Elysée.
Clémence fiscale
Il faut également se souvenir du déroulement exact de la fameuse chasse à la fraude fiscale menée par Eric Woerth en 2009. En avril 2009, le ministre ouvrait un guichet pour permettre aux détenteurs d'
avoirs clandestins à l'étranger de régulariser leur situation, contre l'abandon de pénalités. Une jolie preuve de clémence. Puis, en juin, Woerth déclarait détenir une liste de 3000 noms d'évadés fiscaux en Suisse. Il leur donnait 6 mois pour régulariser leurs comptes. Nouvelle preuve de clémence. Ces agitations servaient deux objectifs : défendre la réalité des engagements du G20 du printemps précédent contre les paradis fiscaux, et faire croire que le gouvernement Sarkozy était inflexible.
Avec le recul, et les révélations de Mediapart, on a peine à comprendre pourquoi Woerth a tant tardé à lâcher les inspecteurs du fisc à la poursuite des fraudeurs.
Il y a deux mois, la cellule de dégrisement, ce service mis en place par Woerth en avril 2009 pour aider les évadés fiscaux français à régulariser leur situation, a fermé ses portes. Le Woerthgate a précipité les évènements. François Baroin va publier les résultats de cette opération. En janvier, le gouvernement parlait de 700 millions d'euros d'impôts récupérés, pour 6 milliards d'avoirs régularisés (dont 4 milliards rapatriés). Entre 3.500 à 4.000 dossiers avaient été présentés. « la lutte engagée pour faire revenir l'argent qui avait été caché de manière frauduleuse et scandaleuse a rapporté plus de 1 milliard d'euros rien que sur le dossier HSBC » a précisé François Baroin. Pour mémoire, la mise en place du bouclier fiscal en 2006, puis son renforcement par Nicolas Sarkozy, n'a eu aucun impact sur le nombre d'évadés fiscaux.
Droite sans gêne
«Pourquoi voulez-vous que je démissionne ? Ça ne m'a jamais effleuré» a conclu Eric Woerth dimanche soir. Pourquoi ? Eric Woerth partage ce type de réaction spontanée avec la quasi-totalité de ses collègues du gouvernement depuis mai 2007. Bernard Kouchner, pourtant accablé par les révélations de ses consultations précédentes auprès de dirigeants africains, n'a pas démissionné. Christian Estrosi ou Alain Joyandet, pris la main dans le sac de déplacements en jet privé, non plus. Christian Blanc, malgré ses ennuis fiscaux et ses milliers d'euros de cigares payés par le contribuable, pas plus.
En Sarkofrance, on ne démissionne pas, tant qu'on a le soutien de Nicolas Sarkozy. Le Monarque couvre. Personne, à l'Elysée, ne semble comprendre les raisons du trouble provoqué par ces confusions des genres à répétition.
Après la droite snif-snif, voici la droite sans gêne.
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