Appelez cela tarte à la crème, arlésienne de campagne ou tout autre joli nom, la réalité est la même. L’Etat dans sa grande bonté, magnanime avec les agents qui le serve, décide souvent de simplifier le droit. Las, se mélangeant les pinceaux plus souvent que de raison, c’est en général par d’un empilement des plus bancal qu’il finit par accoucher.
Enième exemple en matière de marchés publics, ou quand la simplification confine à l’art.
Se précipiter sur la suite (mais sans quitter cette page !)
Il est des lois désuètes sur lesquelles le temps et les réformes sont passée avec autant de régularité qu’une émission de photon dans un atome de quartz, sans pour autant que leur texte ne change d’un iota. C’est notamment le cas de la loi dite Sapin de moralisation de la vie publique.
Ultime survivance d’une période où l’on passait de gré à gré des contrats jusqu’à 300.000 francs par fournisseur, cette loi imposait qu’un avenant dépassant les 5% de la valeur du marché fasse l’objet d’un avis de la commission d’appel d’offre (CAO).
Petite précision, la CAO est une émanation de l’assemblée délibérante chargée d’attribuer (en général, je passe sur les procédures particulières) les marchés dit “en procédure formalisés”, c’est à dire supérieurs à 210.000€ pour les collectivités (206.000 en janvier, voyez je vous tiens au courant). Composée de 5 membres plus un président, elle “remplace” l’assemblée dans le choix des titulaires de marché.
En dessous de 210.000€ le maire peut avoir une délégation pour les actes de préparation, passation et exécution des marchés, alors appelés MAPA (marchés en procédure adaptée).
Arrive ce qui devait arriver, un avenant, c’est à dire un acte modificatif du contrat (puisque les marchés publics sont des contrats conclus à titre onéreux, parfois même très onéreux ) . Les éléments du contrat, prestation comme prix, peuvent en être modifiés sous réserves de ne pas boulverser l’économie du contrat. Pourquoi? Parcequ’il est loisible et facile pour une entreprise de proposer un prix canon pour ensuite demander avec moultes larmes et bruyantes effusions un avenant. Vous l’aurez deviné, rarement en diminution du prix.
Si le montant de l’avenant est supérieur à 5% direction l’avis de la CAO. Et cela même lorsque le marché est un MAPA, et donc que la CAO n’a jamais vu passer ce marché (si vous avez suivi, vous avez compris que c’est le maire qui attribue dans le cadre de sa délégation).
Or réunir une CAO pour demander un avis fait royalement chier les élus, on les comprend, d’autant qu’il suffirait que le maire soit le seul intervenant pour régler ce désagrément.
Notre bon vieille administration centrale entreprend donc de modifier la loi Sapin et d’y adjoindre un alinéa excluant l’avis de la CAO pour les marchés qui n’ont pas fait l’objet d’un tel avis dans la procédure. En gros, si vous êtes passé devant la CAO, et donc marché supérieur à 210.000€, si ça augmente de + de 5%, on repasse devant la CAO. Sinon pas obligé, et là sourire entendu, “Je vous ai compris”.
Sauf que le gentil rédacteur de cette gentille loi n’a justement rien compris.
Tout d’abord, dans le cadre des procédures formalisées, la CAO ne donne pas un avis, elle attribue, ce qui en droit est un tantinet (ironique) différent, nous aurions aimé qu’un rédacteur de loi puise le comprendre.
Ensuite parceque dire pas d’avis de la CAO ne résoud rien. Si la CAO ne donne pas son avis (hum hum) qui va décider de signer cet avenant? Ben le maire! Ben non. Car un avenant n’est pas un acte de gestion mais un acte d’administration, il modifie un contrat, et seule l’assemblée est compétente pour ce genre de choses.
Voilà où nous mène donc la simplification made in administration centrale: avant nous avions un avis de la CAO (réunie une fois par semaine ou tous les 15 jours), désormais il nous faudra passer une délibération de l’assemblée (réunie tous les mois ou tous les deux mois) avec passage en bureau municipal et délais stricts de transmission…
Vous savez quoi? Il parait que ce magnifique gouvernement et cette fabuleuse administration centrale préparent une réorganisation totale de l’administration d’Etat. Je ne veux pas leur porter la poisse mais ça ne s’annonce pas bien du tout…
Cacher cette brillante littérature