David Cronenberg a toujours été fasciné par le corps et ses mutilations, ses mutations, ses transformations, sa corruption par le monde extérieur ou par l'être lui-même. Qu'il s'agisse de Scannners, Chromosome 3, La mouche ou encore Vidéodrome, le metteur en scène canadien développe film après film le thème du corps, en soumettant ce dernier à des outrages venant signifier sa fragilité, sa maléabilité, ou usant de la métaphore pour mettre en exergue le corps comme pure machine, in fine sexuelle (l'admirable Crash), en l'espèce véritable objet mécanique et industriel.
Avec A history of violence, Cronenberg opérait un virage tout sauf thématique (le corps est toujours le point central du film), mais déplaçait son propos sur le terrain du corps comme élément identitaire, en jouant sur sa transformation dans son rapport à l'autre. Eastern promises s'inscrit dans la continuité de cette évolution, de la plus admirable des manières.
Le film raconte l'histoire d'une sage femme (Naomi Watts) enquêtant sur l'indentité d'une adolescente décédée en mettant au monde une petite fille. Ses investigations la mèneront vers le milieu de la mafia russe implantée à Londres. Elle y cotoiera ainsi le chef de clan (Armin Mueller-Stahl), son fils (Vincent Cassel), et son homme de main (Viggo Mortensen).
Loin de constituer un polar mafieux, Eastern promises utilise au contraire les codes du genre pour porter son propos sur un terrain bien plus intimiste, touchant à l'identité des êtres, à leur rapport au monde, à la fuite du corps en tant que bloc identitaire.
Plaçant son film à l'époque de Noël, Cronenberg opère un saisissant effet de contraste entre l'environnement des personnages et leur profonde tristesse. Londres devient ainsi le miroir de l'état intérieur des êtres qui parcourent le film, et est exposée d'une manière extrêmement sombre, glauque, désespérée. Il s'agit ici de saluer l'admirable travail du chef opérateur Peter Suschitzky qui confère à la capitale britannique une aura véritablement tragique.
Dans ce cadre d'une infinie tristesse, Cronenberg s'attache à dépeindre des êtres ayant fui leur existence pour en débuter une autre. Ainsi, qu'il s'agisse de la jeune femme au centre de l'intrigue ou d'un autre personnage clé (dont l'identité ne sera pas dévoilée dans ces lignes), la transformation du corps de l'exilé pour l'intégrer à une vie nouvelle est mise en avant du début à la fin du film. Le corps, à nouveau, sera exposé dans sa nudité la plus abolue dans une scène de combat anthologique à l'intérieur d'un sauna.
L'être se définit-il avant tout par son corps ? C'est cette question qui est au centre de Eastern promises, ces "promesses de l'Est" constituant une terrible métaphore mêlant prostitution, mort et faux semblants, mais apportant également lumière et délivrance.
Organique, charnel, physique, le dernier film en date de David Cronenberg interroge, fascine, et témoigne de l'inspiration toujours intacte de l'un des plus grands réalisateurs en activité.