Le pays entier est en émoi. Déception, dépression honte, rage, colère, c'est un torrent. Oublions la pire marée noire de l'histoire ou toute autre nouvelle secondaire, la Une des journaux est consacrée à la nouvelle qui compte : les bleus se désagrègent. Pire : le monde entier se moque de la Grande Nation.
Vite, que des têtes roulent, débarrassons nous de ces fauteurs de troubles si égoïstes et mal élevés qui donnent de notre beau pays, le plus beau du monde n'oublions pas, une image si déplorable. Et comment a-t-on pu en arriver là ? Certains journalistes en pilote automatiques devant simplement produire de la copie pour toucher leur subvention d'Etat, ouvrent le tiroir « explications pour quand les choses vont mal » et en sortent LA cause obligatoire de tous les maux du pays : le fric, le bling bling, la société de consommation. Bref, l'ultra libéralisme sauvage.
Le lecteur perspicace aura tout de suite saisi que cette explication n'explique rien, puisque ces « causes » s'appliquent de la même façon aux 31 autres équipes et que, selon le principe « mêmes causes, mêmes effets », elle devraient toutes être en train d'insulter un entraineur lavette que sa maman vient défendre à la radio parce qu'il ne sait pas le faire lui-même, et toutes refuser de s'entrainer. Or la nôtre est bien la seule à se donner de la sorte en spectacle.
Et si pour trouver l'explication, on prenait une ou deux minutes pour faire un pas en arrière et observer un tableau plus large. Voyons. Groupes de pressions qui se déchirent pour se partager un juteux butin. Incapacité à régler des différends, embrayage direct sur la grève, le blocage et la prise en otage du pays, accompagnés de noms d'oiseaux. Le tout sous couvert de défense de l'intérêt général. Superstructure de notables qui s'auto promeuvent tous de façon consanguine pour se sucrer luxueusement des fruits du travail de ceux qui prestent –prestent peu, certes, depuis la glorieuse année 2000, il est vrai.
Et n'oublions pas l'essentiel : ces bandes ou troupes concurrentes, jeunes musclés au langage fleuri d'un côté, notables bedonnant, grisonnants, ayant acquis leur place par quelque pitoyable bidouillage de l'autre, prêts à défendre leur part du butin jusqu'au bout, ayant complètement oublié, aveuglés qu'ils sont par leur cupidité, le mur qui se rapproche à grande vitesse, et prêts enfin à démolir tout ce bel édifice qui était pour eux si profitable.
Ajoutons enfin le gouvernement qui intervient directement dans l'affaire, puisque bien sûr il n'y a que l'Etat qui peut régler les problèmes. Surtout en foot, on sait bien depuis la grande époque des sélections Nigérianes faites par Sani Abacha, ou depuis que le Colonel Guei avait séquestré l'équipe de Côte d'Ivoire dans une caserne pour la discipliner militairement, que la prise de contrôle direct du gouvernement dans le football amène immanquablement de brillants résultats, que dis-je, des titres à la pelle.
Tout cela ne nous rappellerait-il pas étrangement quelque chose ? Un certains pays ?
Cette équipe qui nous fait honte à tous, finalement, ne nous représente-t-elle pas à la perfection ? J'irais jusqu'à dire, ne reflète-t-elle pas notre bon pays comme un miroir ?
Si vous m'y autorisez, je profiterais juste de l'occasion offerte par ces cocasses péripéties pour rappeler que l'appel de Contrepoints à céder notre place à l'Irlande prend désormais tout son sens.
Sauf que, finalement, comme me l'écrivait l'autre jour un ami, avouons, on n'aurait pas autant rigolé.