Alors que les Français s’inquiètent d’une dérive inégalitaire, le gouvernement a voulu envoyer un signal. La réforme des retraites n’épargnera personne. Augmentation de 1 point de l’impôt sur le revenu pour les ménages les plus aisés, contribution sociale sur les retraites chapeaux, taxation de certains revenus issus du patrimoine devaient démontrer que les plus riches seraient exceptionnellement mis à contribution au-delà du relèvement de l’âge légal à 62 ans, qui s’applique à tous. Après l’épisode bling-bling du début de mandat Sarkozy et le bouclier fiscal, qui ont laissé des traces dans l’esprit des français, le gouvernement voulait déminer le terrain
Les tensions n’ont jamais été autant exacerbées qu’en ces temps de disette. Et la suspicion d’une réforme qui « se fait sur son dos» est flagrante à la lecture des chiffres : prise séparément, chaque catégorie a le sentiment que la réforme est injuste. Ce sentiment, flagrant chez les ouvriers et employés (73% et 74% trouvent respectivement le projet injuste) n’épargne pas les CSP+. Ainsi, 65% des commerçants, artisans et chefs d’entreprises jugent également la réforme des retraites injuste.
Les riches doivent payer. Mais les riches, ce sont les autres.
Seul principe qui fasse consensus : « les riches » doivent payer. Selon un sondage CSA, 87% des Français sont d’accord pour demander « aux plus riches de participer davantage à la solidarité fiscale ». Une attente qui transcende tous les partis politiques. Un chiffre que corrobore les attentes relevées par l’observatoire Ipsos : parmi les premières mesures privilégiées par nos concitoyens pour résoudre la question des retraites, on retrouvait, en ce début de printemps, la création d’une contribution spécifique sur le patrimoine des plus aisés (34%).
Faire payer les riches fait l’unanimité. Car en France, les riches ce sont les autres. Interrogés par Ipsos pour France Soir, « la grande majorité des Français (97 %) considère que les “riches” gagnent plus qu’eux» . Seulement 3 % des sondés pensent faire partie de cette catégorie. Une notion de richesse à géométrie variable, en fonction de sa propre situation. Ainsi, selon le même sondage, un cadre supérieur estime qu’on est riche à 8.047 €, une profession intermédiaire à 7.813 €, un retraité à 7.010 €, un ouvrier à 5.351 € et un employé à 5.238 €.Les riches ce sont donc les autres. Ceux-là mêmes qui doivent payer la facture.
Au-delà de la seule réforme des retraites, le sentiment exacerbé qu’ont nos concitoyens d’être les dindons de la farce inquiète. Qui taxer pour renflouer les caisses de l’Etat, revenir sous la barre de 3% des déficits en 2013, trouver ce 100 milliards d’économies ? Le sujet est explosif pour le gouvernement actuel, mais aussi pour les candidats de 2012, qui auront à avancer en terrain miné.
Un enjeu explosif pour 2012. Comment faire passer la pilule de la rigueur ?
L’obligation d’être exemplaire
Concilier solidarité et la récompense de l’effort individuel
Second enjeu pour les politiques : augmenter la pression fiscale sans s’aliéner une partie de l’électorat. La partie semble plus aisée à jouer pour l’extrême gauche. Mais l’UMP, tout comme le PS ne pourront s’exonérer d’un programme précis sur la question fiscale. Et la ligne de démarcation entre les gens riches et les autres, est, nous l’avons vu, des plus hasardeuses.
Parmi cette France qui refuse de payer davantage, on retrouve les déçus sarkozyme, qui oscillent depuis entre FN et abstention. Ceux qui ont cru dans le programme « travailler plus pour gagner plus» .
Les électeurs du FN représentent aujourd’hui la catégorie la plus épidermique sur la question de la fiscalité. Selon un sondage CSA paru en avril 2010, 77% des électeurs du FN sont tout à fait d’accord pour dire que l’on « paye trop d’impôts en France» contre 57% pour la moyenne des Français. C’est pour ça qu’ils ont voté pour le candidat Sarkozy en 2007 : voir leur travail récompensé. C’est à cause de cette raison qu’ils délaissent les rangs sarkozistes. Une pression fiscale accrue signerait une désaffection plus massive encore. A ces gens là, il faudra démontrer en 2012 que la valeur travail n’est pas reniée.
Pour se sortir de cette question inextricable, les politiques essaient de détourner le regard. Plutôt que de se battre sur une question de pouvoir d’achat perdue d’avance, UMP et PS tentent d’inventer de nouveaux modèles de société. Au début de son mandat, Nicolas Sarkozy avait initié une commission pour évaluer « la mesure du progrès social » », sorte de bonheur national brut. Martine Aubry a récemment dégainée sa notion de Care, postulat selon lequel la quête effrénée pour consommer plus n’était plus forcément l’alpha et oméga d’une société. A un moment où l’ascenseur social est bloqué, les politiques rebondissent opportunément sur cette aspiration sourde de nos concitoyens pour un autre modèle de consommation. Face à une impuissance politique patente, l’idéologie signerait-elle son grand retour?