Vendredi, Nicolas Sarkozy faisait une petite cure de gaullisme, loin des miasmes parisiens. La visite fut brève. Dès 17 heures, il tenait une réunion avec quelques ministres dont Eric Woerth pour faire le point sur la réforme des retraites.
Woerth déprime
Eric Woerth fut contraint de défendre non pas tant sa réforme que son couple, attaqué dans l'affaire Bettencourt sur trois motifs : (1) l'épouse d'Erc Woerth aurait été embauchée par le gestionnaire de la fortune Bettencourt pour faire plaisir à son mari, (2) elle aurait dû avoir connaissance des «optimisations» fiscales de sa cliente, (3) Mme Bettencourt aurait fait une dotation (légale) à Eric Woerth (comme à Nicolas Sarkozky et Valérie Pécresse par ailleurs). Dans le JDD du 20 juin, Woerth riposte. Il rappelle, à juste titre, que son épouse n'est que salariée de la société qui gère la fortune de Mme Bettencourt: «son rôle est de placer les dividendes de l'Oréal perçus par Madame Bettencourt.» Il crie aussi au complot : «je m'étonne d'ailleurs que ces accusations aient été lancées le jour même où j'ai annoncé la réforme des retraites. C'est clairement une tentative de déstabilisation contre moi.» Il a reçu le soutien de Christine Lagarde, qui s'est dite accablée, et de Valérie Pécresse, également citée dans l'affaire. Woerth réfute aussi toute pression pour faire embaucher son épouse et clame son ignorance des affaires de la milliardaire: «je ne connais pas les finances de Mme Bettencourt !».
Sur l'autre sujet du moment, les retraites, le ministre du Travail a répété, quasiment mot pour mot, les termes du communiqué de presse élyséen de vendredi soir. Il a lâché que la question de la pénibilité restait ouverte. Est-ce tout ?
Sarkozy s'exprime
Après 48 heures d'un silence assourdissant, l'Elysée s'exprimait enfin publiquement sur la réforme des retraites. A lire le communiqué de presse, on dirait que Sarkozy s'est détaché du sujet, comme un Chirac ou Mitterrand en pleine cohabitation: «Le Président de la République a rappelé son attachement à une réforme efficace et juste.» Puis vient la justification : « Il considère de son devoir d'apporter les solutions permettant de sauver notre régime de retraite par répartition pour les générations actuelles et les générations futures. Ces solutions doivent être justes et protéger tout particulièrement les travailleurs ayant eu une vie professionnelle plus dure que les autres. C'est dans cet esprit qu'a été préparé le projet du gouvernement.»
Rappelons la mesure proposée par Eric Woerth, comme un épouvantail destiné à cristalliser les oppositions de toutes parts : le projet prévoit que seuls les invalides à 20% au moins pourront prétendre à un départ à 60 ans, soit 10 000 personnes par an d'après le ministre.
Vendredi soir, Nicolas Sarkozy, suprême arbitre, a demandé à son ministre de faire un effort: « Le Président de la République a demandé à Eric WOERTH de lui proposer, au plus tard avant le début du débat parlementaire en septembre, les évolutions qui pourraient être envisagées sur tout ou partie de ces différentes questions, dans le respect de l'équilibre général de la réforme. » On oublierait presque que cette réforme inique a été conçue et arbitrée par le Monarque lui-même. Sourd aux critiques, il n'en a retenu qu'une seule: «Les partenaires sociaux ont en particulier insisté sur la nécessité de mieux prendre en compte la pénibilité ainsi que la situation des personnes qui ont commencé avant 18 ans, et d'apporter une réponse à la problématique des poly-pensionnés.» Pas un mot sur l'injustice générale du projet, la faible contribution des revenus du capital, l'impact des mesures d'âge sur les salariés.
Le jeu est facile. La séquence fut paraît-il bien jouée. Quelques jours avant l'annonce, on théâtralise la lutte des «durs» contre les «sociaux». La veille de l'annonce, le Monarque arbitre dans sa grande sagesse. Le jour de l'annonce, il confie son épreuve à quelques journalistes. Le surlendemain de l'annonce, il promet des adaptations. D'aucuns y voient une stratégie bien pensée pour la réélection de 2012. Le Monarque cherche à radicaliser son opposition. Son projet est incomplet, mais il compte ce qu'il faut de mesures «épouvantails» qu'il conviendra plus tard d'amender.
Jeudi, un hebdomadaire conservateur faisait sa couverture sur Nicolas Sarkozy, avec un titre en apparence provocateur : «Est-il si nul ?» Le journal louait la suppression de la taxe professionnelle, et l'autonomie des universités. Il critique sa timidité sur les retraites, la réforme de l'Etat, et le pouvoir d'achat. Et tacle les réformes ratées: fiscalité, logement, social.
Finalement, le Point résumait tout haut ce que beaucoup, à droite, pensent tout bas : Sarkozy a raté ses réformes les plus emblématiques, soit parce qu'il n'y croyait pas, soit parce qu'il les craignait trop. Et la réforme des retraites n'échappe pas à cette règle.
|