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Etat chronique de poésie 922

Publié le 21 juin 2010 par Xavierlaine081

922

C’est beau un lever de soleil, même sur une gare de triage.

C’est beau une ville qui s’étire et se réveille, un peu hagarde, un peu bohème.

C’est moins beau une jeunesse qui dort à même les pavés du désespoir.

*

Lui, il reste encore dans ses souvenirs. Il revoit l’enfant qu’il fut. L’a-t-il seulement été, ce navigateur infatigable, cet étranger à lui-même et qui devait le demeurer si longtemps.

Il se revoit donc dans la pleine lumière du salon.

Il profite d’un temps d’absence parentale.

Il saisit dans la rangée de disque trente trois tours, la neuvième de Beethoven, dirigée par Karajan. Il pose le vinyle sur la platine, monte le son pour qu’il se vrille bien entre ses deux oreilles et envahisse le volume de la pièce. Il monte sur un tabouret, se saisit d’une règle, puis ferme les yeux.

IL n’est plus question ici du son évanescent d’une flûte divine, il ferme les yeux et devant lui la fosse s’ouvre où s’agitent les violons, violoncelles, contrebasses et bassons, comme des lions dans une arène. De sa baguette de silence, il dompte cette foule qui s’accorde un dernier temps, avant d’entrée en lice.

« Pom, pom, pom, pom »…

Il monte d’un coup dans un soleil resplendissant. Il sait qu’il va pouvoir, dans cet espace de liberté sans faille, côtoyé des dieux. Il s’approche de l’astre solaire à s’y brûler l’échine.

Il ne sait rien de ce Karajan, ni de Beethoven. Il sait juste son cœur qui bât au rythme de l’orchestre. Derrière ses paupières closes, il est ce chef, il est aussi l’ensemble. D’un léger vibrato, il prononce les silences qui font toute la musique. Il suit, sur une partition imaginaire, les méandres des mesures et de la démesure d’un homme.

Là, seul dans ce salon vide et nu, il peuple son corps de cette intense vibration qui frémit dans l’azur d’un avenir définitif. Il sera cet homme, il sera cette démesure et cet emportement.

Jamais une telle passion ne saurait être partagée autrement qu’entre deux portées, dans un demi-soupir, un point d’orgue, une cadence.

*

L’œuvre se termine avec un bruit de clef dans la prote d’entrée.

Vite, il descend de son piédestal et de ses rêves, range la galette dans sa pochette, baisse le volume pour ne rien trahir, puis monte, discrètement dans sa chambre. Il s’assoit derrière sa table de travail, fait semblant d’être à ses devoirs de mathématiques, lui en vibre encore un autre monde. Dehors, une mésange vient se poser sur le rebord de sa fenêtre.

Il feint de ne pas la voir. La porte s’ouvre. Une voix courroucée lui intime l’ordre de descendre avec ses devoirs. Il sait que le cauchemar l’attend. Il sait qu’il ne sait rien, que l’essentiel est ailleurs, dans cette invisible vie qui est la sienne et qu’il ne peut partager qu’avec une mésange.

Il descend, traine et renâcle. Il pose son livre et son cahier, tente de vaines explications, prétend ne rien comprendre quand il n’a tout simplement rien appris. La colère monte dans cette voix qui a muré d’autres choses et compense en violence une affection définitivement perdue.

Il sait ce qui l’attend, l’enfant. En lui, à l’heure des coups, monte encore une fois le son diaphane d’une flûte dans la nuit de ses rêves, il ferme les yeux : « Pom, pom, pom, pom… »

Ce qui tombe s’égrène en ultime démesure. Ses yeux débordent de larmes trop contenues. Il voudrait être ailleurs, là où sa musique serait reine, muse, amante et souveraine.

*

Une brume couvre l’espace et le temps

Qui de l’enfant à l’adulte sait ce qui l’attend

Quel chef mystérieux dirige l’orchestre de la vie

Emporte heurs et malheurs en succession de jours

Berce d’illusion des yeux fraîchement éclos

Juste avant que ne disparaissent les rivages du bonheur

.

TGV Paris Aix en Provence, 9 mai 2010

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