Depuis jeudi matin, le net grouille de propos plutôt négatifs à propos de PriceMinister et de son rachat par Rakuten.
Malgré la très belle opération, les commentateurs persistent à voir le verre à moitié vide.
J’avoue que je ne partage pas du tout le scepticisme de la plupart des rédacteurs et que très clairement, je vois le verre à moitié plein. Et ce, pour au moins 4 bonnes raisons :
1 - Le vent tourne, les "prédateurs" viennent enfin aussi de l’est…Je vois d’abord une excellente nouvelle pour notre industrie, les "prédateurs", qui venaient généralement de l’ouest et en particulier des USA, viennent maintenant aussi de l’est, du Japon et pourquoi pas de l’Asie.
Est-ce honteux de se faire racheter par les Japonais ? Je ne vois pas pourquoi cela le serait. Ils sont bien plus avancés que nous dans l’e-Commerce. Si l’Internet marchand représente en France environ 3% du commerce de détail, s’il représente 8-10% dans les pays anglo-saxon, c’est plutôt le chiffre de 15 à 20% qui circule pour le Japon et la Corée. Je ne vois donc pas ce qu’il y a de surprenant à ce qu’un Japonais, leader mondial aux côtés d’eBay, décide de venir consolider ses positions en Europe après l’avoir fait récemment aux USA. Qu’il le fasse via la France est plutôt très positif.
2 – A propos des chiffres qui seraient tous mauvais (le CA, le prix payé …)Je lis aussi que les Japonais auraient mal acheté.
On dit souvent qu’un bon deal est celui dans lequel les deux parties pensent avoir fait une mauvaise affaire. Certes, Pierre est surement en deçà des objectifs qu’il avait souvent avancés de 500M€ de valorisation pour une entrée en bourse. Mais 200M€ c’est quand même une sacré création de valeur pour une entreprise qui vient juste de fêter ses 10 ans ! Réciproquement les Japonais, qui ont peut-être payé cher le chiffre d’affaire de PriceMinister (que tout le monde semble découvrir), n’avaient pas d’autre solution pour prendre immédiatement une position de co-leader en Europe par rapport à eBay. Rakuten a acheté plusieurs choses : une position/audience sur le marché européen (même si elle est très centrée FR/ES), une marque forte, une clientèle et surtout une équipe qui a prouvé sa capacité à exécuter depuis 10 ans …
Je lis aussi partout « Enfin on connait enfin les chiffres ». PriceMinister ne publie pas ses chiffres, je pense qu’ils ont raison. C’est une habitude tellement française que de vouloir et pouvoir « voir » les chiffres de son concurrent. Aux USA, seules les entreprises cotées, qui font appel à l’épargne du public et doivent donc être librement analysées, publient leurs chiffres. Les entreprises privées restent … privées !
Entre nous, ce n’était pas super difficile de prévoir le CA à 30% près. Le seul chiffre publié/mesuré était « le » 10 millions de visiteurs uniques. Aux arnaques près (que tous les autres doivent aussi utiliser, pop-under …), on sait que cela donne environ 50 millions de visites. A 1,5% de transfo cela donne 750.000 commandes par mois, à 30€ de panier moyen cela donne 22M€ de CA vendeurs, et à 13% de commission cela donne environ 3M€/mois soit 36M€ de commissions. Faites bouger le 1,5% vers les 2%, les 30€ entre 20 et 40, les 13% entre 10 et 15%, jouez à supprimer la TVA, etc … vous resterez autour des chiffres qui ont finalement étaient annoncés.
Je lis aussi « Les chiffres sont mauvais » et en particulier certains comparent ces 36M€ de commissions avec les X centaines de millions d’euros de RueDuCommerce, PixMania ou CDiscount. Je ne suis pas certain que ces trois entreprises fassent une marge brute très supérieure à 10% compte tenu de leur orientation « prix », donc elles sont dans les mêmes eaux que PriceMinister.Je note simplement que le REX était de 5,5M€ en 2008 et 6,6M€ en 2009 ! Cela donne quand même 16% d’EBIT. Ce qui me semble significatif, c’est que Rakuten sait qu’avec les moyens qu’ils sont prêts à mettre sur la table, ils disposent d’une entité immédiatement très rentable en France et qui peut devenir relativement rapidement significative et rentable dans d’autres pays d’Europe. Et c’est cela qui me semble important.
Un autre petit calcul amusant. Reprenons le chiffre de 750.000 commandes par mois. Cela nous donne 9 millions de commandes par an - tiens, au passage c’est un chiffre comparable à celui qu’annonçait récemment un autre leader du eCommerce avec un logo rose :-)
9 millions de commandes, supposons que cela représente 3 millions d’acheteurs uniques. Rakuten a donc payé environ 65€ chaque acheteur qui a acheté en moyenne 3 fois 30€ soit 90€ dans l’année. Avec une commission de 15% cela nous donne 13,5€/an/client … et il faudra 4-5 ans pour amortir le prix payé. Et pendant ces 5 ans, ils auront créé une tonne de valeur en avançant dans d’autres domaines/pays - à nouveau faites varier les %, il est assez amusant de voir que ça tourne en rond et que l’on en revient sans cesse aux mêmes fondamentaux.
3 – Une bonne nouvelle pour les NTIC françaisesIl y a aussi le bruit des grincheux qui disent que nous ne sommes pas capables en France des créer des leaders, etc, etc.
Regardons de près : la France est le seul pays d’Europe où 5 entreprises qui n’existaient pas il y a 10 ans sont dans le top 10 du eCommerce (Ventes Privée, CDiscount, PriceMinister, PixMania, RueDuCommerce). Le SEUL pays d’Europe, c’est déjà un bon résultat non ? On peut ensuite se demander pourquoi nous ne sommes pas capables de grandir aussi vite que les AngloSaxon ou les Japonais. La réponse est simple. Nos marchés sont trop petits pour grandir loin et vite sans grands moyens. L’Europe c’est autant d’écosystèmes du e-Commerce, autant de cultures, autant de systèmes bancaires, autant de règles et de lois que de pays ! Et cela rend très difficile de s’y développer sans s’épuiser. Mais parvenir à exister dans quelques pays d’Europe, comme l’on fait PixMania et, à moindre mesure PriceMinister, c’est l’assurance de voir un gros prédateur (Dikson pour PixMania, Rakuten pour PriceMinister) arriver et racheter assez cher ce qu’il n’est pas capable de réaliser rapidement.
J’entends aussi que Pierre (et ses co-fondateurs) sont liés pour au moins 5 ans et qu’ils ne feront plus ce qu’ils veulent.
Fait-on jamais ce que l’on veut lorsque l’on est chef d’entreprise ? Les responsabilités et le respect que l’on a, vis-à-vis de ses actionnaires et de ses salariés, sont trop importants pour s'imaginer être totalement libre dans ses décisions. Un des mes amis qui avait (très bien) vendu son entreprise et qui n’arrêtait pas de faire de longs déplacements pour conseiller ses repreneurs et à qui je demandais s’il était réellement obligé de consacrer autant de temps à ceux-ci m’a fait cette belle réponse : « il faut toujours prendre soin de ses bienfaiteurs ». Il y a quelques années les bienfaiteurs de Pierre étaient des VCs. Grâce à Rakuten il a pu offrir une belle sortie à ses VCs et ses nouveaux bienfaiteurs se nomment Rakuten. Est-ce qu’il lui sera facile de s’entendre avec eux ? Pas obligatoirement, il lui faudra sans doute faire des concessions, apprendre d’eux, se motiver pour eux, bref prendre soin d’eux. Pas facile certes, mais c’est la routine de tout entrepreneur.
4 – Et si le rayonnement de l'entreprise sur le net était aussi important que les relations de son PDG ?Je note enfin un dernier élément très réjouissant (peut-être romancé, mais on peut sans doute donner crédit). Pierre est un homme très en vue, « issu du sérail » comme diraient ceux qui n’en sont pas, frère de Madame la Ministre de l’Economie Numérique, Président de l’ACSEL.
A ces titres, il avait en main toutes les ouvertures pour être contacté par relation. Ou même (mauvaise idée), pour tenter de faire intervenir quelque bras armé de l’état (FIS par exemple). Rien de tout cela ! L’histoire retiendra qu’un mail est arrivé au service commercial pour exprimer l’intérêt de Rakuten dans PriceMinister ! Belle leçon d’humilité - et bravo à celles ou ceux qui gèrent cette boite mail d’avoir fait suivre.
En conclusion j’ai envie de dire un GRAND bravo aux équipes de PriceMinister.
La France a besoin de belles réussites, d’entreprises capables de valoir plusieurs centaines de millions d’Euros, car c’est grâce à elles que les plus petites pourront dire à leur investisseurs (souvenez-vous) : "Oui nous sommes capables de créer une entreprise qui vaudra 50, 100, 200 ou 500M€. C’est grâce à ces exemples que des milliers d’emplois seront créés et que nos entrepreneurs de talent, et nous en possédons, recevront les fonds sur lesquels ils baseront leurs futures success-stories."
Voilà pourquoi j’ai vraiment envie de voir le verre à moitié plein !
Mon billet sonne peut-être un peu Ricain mais j’assume, et comme disent nos amis américains (souvenez-vous) :
« La prochaine fois qu’on vous sert un verre de vin et que vous le voyez
à moitié vide … commandez un double »
A la (bonne) santé de PriceMinister Rakuten !