S.C.U.M. ::: Tristes comme des bougies sans flammes

Publié le 20 juin 2010 par Gonzai
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Un monde en monochrome, une pose collective d'esthètes immobiles aux cœurs de faïence et des regards éberlués de top models ayant paumé la dernière dose aux Water-Closet, ne serait-ce pas, après le rock en jean slim (taille 36) des Horrors et l'eye-liner de The XX, le nouveau groupe anglais qu'attendaient tant les porte-manteaux ?

Dans le cadre photo qui leur sert d'épouvantail anonyme, et sans même avoir sorti le moindre album, les cinq membres du groupe anglais S.C.U.M. annoncent la couleur de la nouvelle décennie. Des couleurs, il n'y en aura plus, le sourire est resté bloqué au vestiaire. Une façon comme une autre de rompre avec l'esthétique de la décennie d'avant, autant marquée par les taches de bière que par l'œil torve du rockeur qui a trop bu. Dix ans pendant lesquels on avait tenté de tous gober que le rock était revenu, qu'il était rentré à la maison et que les Strokes avaient fait de la tarte aux pommes pour fêter ça.

Mais à force d'avoir tous mangé dans le même plat, chacun était finalement parti se laver les mains dans les grands bénitiers novö, persuadés d'être le seul à expier ses péchés dans de petites bassines noires et blanche de chez Chanel. Promis juré, 2009 ne mourrait pas sans lutter, en l'espace de quelques mois, une poignée de dépressifs relookés chez Kooples avait réussi à changer la donne. La bande à Faris Badwan (The Horrors) avait été novatrice, remettant le noir au goût du jour et le Tranxen hors des placards, suivi de très près par la pop self-centrée de The XX, incarnant en deux lettres tout ce que la génération homonyme comptait de désincarnation et de joies asexuées. Tel un Actuel nouvelle ère, Télérama finirait même, avec ce nez creux qui caractérise si bien l'époque, par une couv' sur le groupe du South West London. Derrière les deux géants du noir morbide mais dansant, une foule de prétendants (These New Puritans en tête) trépignaient déjà, prête à conquérir le cœur cassé des mélomanes pour la plupart ex-fans des eighties, de Cure à Joy Division en passant par Depeche Mode. Pas une révolution, en soi, mais une nouveauté, quand même : Désormais, les fashionistas de tous bords (celles qui ont découvert Siouxsie and the Banshees grâce au Marie Antoinette de Sofia Coppola, je suis sûr que vous en connaissez au moins UNE) parvenaient à ruiner votre élan pour tel ou tel groupe gai comme une pierre tombale en moins de temps qu'il ne fallait pour se moucher les yeux.

Liste brève et non exhaustive des facteurs de succès pour être cool en 2010 :

1. Venir de Londres ou, le cas échéant, d'une banlieue anglaise au nom imprononçable. Plus value médiatique : Etre pauvre mais lettré, issu d'une école d'architecture ou de design qu'on aura payé en jouant le Week-End dans des expositions de Portobello Road.
2. Fonder un groupe sans leader apparent. Citer la Factory et Bauhaus dans vos références, ne pas développer.
3. Ne jamais sourire sur les photos. Ne jamais porter de vêtements de couleurs. En shopping, prendre systématiquement une taille en dessous.
4. Répondre aux interviews par des onomatopées habitées et incompréhensibles qui feront croire à votre interlocuteur qu'il a trouvé tout seul la clef de vos supposées énigmes.
5. Confier au journaliste que oui, on a déjà maltraité ses Playmobil à l'adolescence en leur faisant jouer des orgies, seul dans sa chambre.

S.C.U.M., en toute logique, ne fait pas exception à la règle. Peu d'informations sur le quintet anglais, une musique passionnante faite de croix et d'accords renversés, des références subtiles à la musique faussement gothique (The Cult pour la voix en écho de chambre noire. Ou Billy Idol, pour les mauvaises langues) et un rock désincarné qui crie très loin ce qui fait mal tout près. Une musique que je savoure encore, maintenant qu'elle n'est pas encore synchronisée, pas encore distillée sur disque et qu'elle ne pollue pas les petites colonnes de journaux à la recherche du nouveau buzz. Mais une musique qui lassera vite, dès lors qu'elle aura séduit les jeunes profs en mathématiques modernes et autres chroniqueuses modes à la recherche de sujets « mal-être en musique, bande-son de l'été pour oublier votre petit copain ».
Passionnants pour la plupart - et presque tous défendus ici même, ces groupes ont sut réinventer leurs destins. Promis à des avenirs intimes de sous-sols, leurs musiques sombres comme un tunnel de métro collent désormais à la tendance. No smoke, no joke, Scum pour écume ; être beau comme un sac de chez Prada mais aussi complexe qu'un poème de Pythagore - plusieurs d'entre eux aimant les designs en triangle, référence aux sociétés secrètes qu'aux pyramides égyptiennes et ses langages codifiés. Paradoxe de ces groupes qu'on aime en secret mais qu'on adore détester lorsqu'ils sont récupérés pour le peuple, et que c'est - malgré tout ce que je viens d'écrire - le mal qu'on leur souhaite.

Il fut un temps où l'on se  serait imaginé traverser la Manche en ferry, atterrir à Douvres et rouler en car jusqu'à Londres pour découvrir tout ces groupes, de S.C.U.M. à Bo Ningen en passant par Screaming Tea Party ou Artefacts for Space Travel, dans de sombres bouges enfumés peuplés de modestes personnes aux looks sans logique. Désormais avachi dans le confort moderne, je les imagine désormais tous œuvrant pour des galas de fashion-charité ou pire, des vernissages d'expositions, black troubadours d'une époque sans couleurs. Où l'on repense à Alain Pacadis[1], interviewant Alan Vega, le 1er octobre 1976 :

- Alain Pacadis :

« Et qu'est-ce qui va faire suite au punk, selon toi ? « 

- Alan Vega :

« Peut-être quelque chose de plus électronique, du rock pour androïdes (...) des musiciens tous habillés en cuir noir jouant comme des robots »


[1] Un jeune homme chic, Denoël X-trême

http://www.myspace.com/scum1968
http://www.myspace.com/boningen
http://www.myspace.com/artefactsforspacetravel
http://www.myspace.com/screamingteaparty
http://www.myspace.com/thehorrors
http://www.myspace.com/thexx
http://www.myspace.com/thesenewpuritans