Né à Salem, Massachussets, une ville où les sorcières sont désormais le fond de commerce des autochtones, Luke Temple a d'abord voulu échapper à son destin. Reconverti peintre de fresques murales pour les hipsters new-yorkais, Luke en profite pour publier deux brillants disques[1] de songwriter, au milieu des années 2000, puis s'égare dans des tournées mondiales sans public. Retour à Big Apple.
Par un beau matin de 2009, Luke se réveille avec un bout de bois entre les cuisses et des gris-gris en guise d'organes reproducteurs ; les sorcières se posent sur son berceau et Here We Go Magic vient de naître. Projet de marabouts de ficelle engagés sur des tapis volants, le groupe vole désormais à une altitude raisonnable au dessus de la pop américaine (regroupée à 70% sur l'upper east-side de Brooklyn) et ne passe pas (tout) son temps à mesurer son sexe d'homme blanc ayant trempé ses glandes dans un bol de Fela Kuti. De passage à Paris pour leur deuxième disque Pigeons, la clique d'Here We Go Magic mange des pâtes d'après concert. J'en profite pour interpeller Luke Temple, leader au charisme mesuré et à la bouche pleine, pour une rencontre sur le pouce. Micro.
Avec des chansons comme Casual ou Surprise, on parvient à s'évader de la scène, mais on en revient toujours au même objectif: être fier de notre musique, de ce qu'on offre. C'est plus que bien jouer des notes, c'est surtout être relax sur scène, sentir qu'on possède l'énergie. C'est un plaisir égoïste je te l'accorde, mais c'est primordial de sentir cette force animale pour pouvoir la transmettre. Mais cette force... si tu la cherches trop intensément, tu ne la trouves pas.
Avec Here We Go Magic, je ne suis pas l'élément central, le mec qu'on vient voir sur scène. C'est un groupe, je me fonds dedans, l'exact contraire de ce que j'ai fait à mes débuts, le solo guy qui vient jouer ses chansons. Il est chouette ce groupe. Quand j'ai écrit les paroles de ce second disque, j'avais un certain sens de ce qui marchait et de ce qui ne marchait pas - mais je ne suis pas un poète, hein -, parce que je pense avoir un certain talent pour créer des images, des trucs qui viennent de mon subconscient. C'est pas très grave finalement, si tu entends des choses différentes dans les paroles, que tu les comprends différemment, c'est même l'objectif, que les chansons conservent une part de mystère. Comme un rêve dont on ne parvient pas à décrypter tous les sens. Impossible de m'imaginer comme un chanteur déblatérant sur la réalité du monde.
Pour Pigeons, on a commencé par trouver un superbe lieu pour enregistrer, une ferme dans la campagne au milieu des montagnes, avec une rivière qui coulait au loin. Un lieu qui aurait pu nous inspirer naturellement. Tous les matins, j'avais décidé de me réveiller de bonne heure pour écrire une chanson, tous les jours, en une heure et demie, parfois deux. Après ça, le groupe se réveillait et on travaillait sur ma matière toute la journée, on dînait et le soir on répétait la chanson composée la veille. C'est comme ça qu'est né le disque ouais, dans une "song house". Yeah, comme au temps de Tin Pan Alley (Littéralement, traduire par « « l'allée des casseroles en métal », rue de New-York où les éditeurs feront travailler à la chaine - jusqu'en 1930 - une poignée de compositeurs comme Irvin Berlin, Cole Porter, Gershwin ou Scott Joplin, excusez du peu, NDR). De toute façon, je compose mieux avec la notion de deadline, de limite. L'idée d'avoir à me démerder avec la contrainte, ça m'excite davantage que d'imaginer comment telle ou telle chanson sonnerait avec une centaine de prises... (Le compositeur du groupe français Carp nous interrompt, vient faire dédicacer son exemplaire du premier album).
America, like an old and fat baby.
Je comprends pas ta question là. Est-ce que notre musique est cosmique? Everything's cosmic, man! C'est la manière dont je vois le monde, tous les jours, une façon d'aider les gens à se connecter à leurs propres univers. La musique, c'est un dialogue, une façon de se souvenir des lieux, des personnes, des émotions... c'est comme ça que je l'entends, la musique. C'est important de rester abstrait, dans nos chansons, dans les visuels, parce que tu peux être sûr que si une personne ne pige rien à 70% de tout ce que tu racontes, elle pourra au moins combler les manques avec son imaginaire, toutes les possibilités que tu lui donnes d'interpréter à sa guise, avec des notes, des mots, des images qui ouvrent vers autre chose. Mais vas pas croire qu'on ait déjà joué dans des lieux bizarres ou atypiques, genre une baignoire ou des garages, le plus weird qu'on ait fait, c'était... Pete, c'est quoi l'endroit le plus étrange où on ait joué? C'est le journaliste qui me demande ça, ouais, j'aurais du mal à traduire... Ah ouais, exact, on a déjà joué dans des théâtres et des galeries. C'est bon, t'as assez de matière là? (Luke coupe son steak, il vient se finir ses pâtes) Merci en tout cas, c'était cool comme interview. Ca me change des questions de bloggeuse qui me demandent quelle est ma marque de céréales préférée. »
Here We Go Magic // Pigeons // Secretly Canadian (Differ-ant)http://www.myspace.com/herewegomagic
[1] Hold a match for a gazoline world, 2005